Tao Te King (Stanislas Julien)/Chapitre 69

Traduction par Stanislas Julien.
Imprimerie nationale (p. 258-260).


CHAPITRE LXIX.



用兵有言:吾不敢為主,而為客;不敢進寸,而退尺。是謂行無行;攘無臂;扔無敵;執無兵。禍莫大於輕敵,輕敵幾喪吾寶。故抗兵相加,哀者勝矣。


Voici (1) ce que disait un ancien guerrier :

Je n’ose (2) donner le signal, j’aime mieux le recevoir.

Je n’ose avancer (3) d’un pouce, j’aime mieux reculer d’un pied.

C’est ce qui s’appelle n’avoir pas (4) de rang à suivre, de bras à étendre, d’ennemis à poursuivre, ni d’arme à saisir.

Il n’y a pas de plus grand malheur que de résister à la légère.

Résister à la légère, c’est presque perdre notre trésor (5).

Aussi, lorsque (6) deux armées combattent à armes égales, c’est l’homme le plus compatissant qui remporte la victoire.


NOTES.


(1) E pense avec plusieurs commentateurs que les mots yeou-p’ing 有兵 désignent « un écrivain appartenant à l’école appelée P’ing-kia 兵家, à l’école militaire », c’est-à-dire la classe des auteurs qui ont écrit sur l’art militaire, et qui ont été, pour la plupart, des guerriers célèbres.


(2) Littéralement : « Je n’ose être l’hôte qui reçoit (en anglais : host), mais je suis l’hôte qui est reçu (en anglais :guest) ». Dans la société (chinoise) le premier donne l’exemple de monter, de descendre, de se lever, de s’asseoir, etc. le second se conforme à son exemple et l’imite ponctuellement.

E : Ici le mot tchou (vulgo « maître de la maison, hôte qui reçoit ») désigne « celui qui commence l’attaque » ; le mot khe (vulgo « l’hôte qui est reçu ») « celui qui répond à l’attaque de son ennemi. »

Suivant Lin-hi-i, tout ce chapitre a un sens figuré. Il est destiné à montrer quelle doit être la conduite humble et réservée des hommes qui pratiquent le Tao.


(3) E : Il s’avance difficilement et se retire aisément, c’est-à-dire avec empressement. Il ne provoque point l’ennemi, seulement il répond à son attaque ; et, quoiqu’il réponde à son attaque, il ne désire point en venir aux mains avec lui. Il aime mieux fuir au loin pour éviter l’ennemi que de le chercher pour lutter corps à corps.


(4) C’est-à-dire être comme si l’on n’avait pas, etc. E : L’expression 無行 (prononcez : wou-hang) veut dire « ne pas avoir de rang à suivre. Le mot jing signifie « aller trouver » (adire).

Sou-tseu-yeou ; Celui qui va en avant, a l’intention de combattre ; celui qui se retire, ne songe pas à combattre. Si un homme songe à ne pas combattre, quoiqu’il marche parmi les soldats, il est comme s’il n’était pas dans les rangs ; quoiqu’il ait des bras, il est comme s’il n’en avait pas à étendre ; quoiqu’il ait une arme, il est comme s’il n’en avait pas à saisir ; quoiqu’il ait des ennemis devant lui, il est comme s’il n’en avait pas à poursuivre.

E : Lao-tseu veut dire que si un guerrier peut agir ainsi, quoiqu’il combatte, il sera comme s’il ne combattait pas ; mot à mot, en latin : « Si ille qui armis utitur, revera hoc modo (agere) possit, quamvis utatur armis, (erit) quasi non uteretur (armis).


(5) E : Le mot ngaï veut dire ici thse « affection (pour les hommes). » Le Saint, dit Sou-tseu-yeou, regarde l’affection (pour les hommes) comme un trésor. Si l’on combat à la légère, c’est qu’on aime à combattre. Aimer à combattre, c’est se plaire à tuer les hommes. Par là, nous perdons presque les sentiments d’affection, d’humanité que nous devrions conserver comme un trésor.


(6) H : L’expression hang-ping 抗兵 désigne « deux armées d’égale force, dont l’une ne l’emporte pas sur l’autre, de manière que la victoire reste indécise. »

E : J’éprouve un sentiment de compassion qui m’empêche de tuer les hommes. Dès que ce sentiment de compassion s’est manifesté, le ciel et les hommes me prêtent leur secours ; quand je voudrais ne pas vaincre, je ne pourrais faire autrement.