Tant mieux pour elle/Chapitre 3

Romans et contes, première partie (p. 186-188).


CHAPITRE III

Elle ne s’y attend pas.


La Reine alla chercher Tricolore, accompagnée du Prince. Hé bien, ma fille, lui dit-elle, convenez que vous avez eu bien du plaisir. Tricolore rougit ; le Prince se déconcerta ; la Reine s’étonna. Je vois, s’écria la Princesse, que le Prince Discret ne l’est pas, et qu’il vous a tout dit. Le Prince reprit son sang froid, et convint qu’il y avoit bien eu quelque chose entre la Princesse et lui, mais que ce n’étoit qu’une misere. Apparemment, dit la Reine, que vous l’avez trouvée seule. Que faisoit donc sa dame d’honneur ? Il y a à parier, répliqua Discret, qu’elle Faisoit alors ce que fait souvent la vôtre, à ce que j’imagine. Je veux absolument, continua la Reine, savoir l’historique de cette aventure. Il ne sera pas long, reprit Discret en soupirant : j’eus le bonheur de trouver un soir la Princesse livrée à elle-même ; elle lisoit un Roman nouveau ; j’eus peur que cela ne la dégoûtât de l’amour : je fis une dissertation sur les sentimens ; elle parut me prêter toute son attention. Me flattant de l’intéresser, je pris sur moi de vaincre ma timidité ; je lui peignis l’état de mon cœur : je m’apperçus qu’elle vouloit m’interrompre ; mais sa politesse naturelle, que sans doute elle tient de vous, Madame, me laissa achever. J’eus la témérité de lui baiser la main ; elle me laissa faire, parce qu’elle prévoyoit bien que cette faveur ne tireroit pas à conséquence.

Comment, dit la Reine, vous en restâtes là ? Oui, Madame, répondit Discret. Comme la Princesse n’a pas tant d’usage du monde que votre Majesté, elle ne sait pas si bien faire les honneurs de chez elle. Voilà qui est bien, interrompit la Reine, le mariage aura lieu. Elle donna en conséquence les ordres nécessaires ; elle songea aux apprêts, commanda les équipages, leva les étoffes, et fit imprimer les billets. Le Roi fut étonné de la nouvelle ; il l’avoit pourtant apprise par la Gazette, mais il n’en croyoit rien. Il fit venir la Princesse et la Reine, et demanda si on le prenoit pour le Roi de carreau. Non, Monsieur, répliqua la Reine, car il me fait souvent beau jeu ; d’ailleurs, vous savez en votre conscience, que vous n’avez aucun droit sur la Princesse. Le mariage se fera ; j’ai consulté les peres. Et moi, je vous soutiens qu’il ne se fera pas, s’écria la Fée Rancune, que l’on vit paroître dans une désobligeante avec son fils Potiron sur le strapontin ; je prétends que la Princesse donne la main à mon bel enfant que voilà.

C’est ce que nous verrons, dit la Fée Rusée, qui arriva dans un cabriolet, attelé à six renards. Unissons-nous, Madame, dit à l’instant la Reine, je compte sur votre protection. Je vous l’accorde, répondit la Fée Rusée, et je vous en donne une preuve bien éclatante. Elle la serra au même instant contre la muraille, la toucha de sa baguette, et la Reine des Patagons devint une fort belle figure de tapisserie. Tricolore fit un cri, la Fée Rancune une grimace, le Prince Potiron un gros éclat de rire, le Prince Discret une question, et le Roi des Patagons un remercîment.

Que c’est une belle chose que les événemens dans un Conte ! La métamorphose de la Reine étoit un trait de la plus fine politique ; la tristesse de la Fée Rancune en étoit une preuve : la Fée Rusée étoit triomphante ; cependant elle ne le sera pas toujours. Que d’aventures opposées et contraires va produire le choc de ces deux Puissances ! Ô mon fils ! s’écria la Fée Rusée, que de plaisirs ! que de peines ! que de bonheur ! que d’accidens ! Comment pourrez-vous soutenir et les uns et les autres ? Allons prendre conseil de notre grand Instituteur.