APRÈS LA TOURMENTE.

Juin 1871.



Quand, l’orage fini, le ciel se rassérène,
Quand le vent s’adoucit et sur les blés ployés
Glisse, effleurant le sol de son humide haleine,
Ridant les flaques d’eau dans les sillons mouillés ;

Quand du soleil craintif les rayons encor ternes,
S’échappant au travers des gros nuages noirs,

S’étendent en dorant les grands champs de luzernes ;
Quand le ciel bleu sourit au fond des réservoirs ;

Quand les gouttes de pluie, en tombant de la branche,
Font entendre au passant leur monotone bruit ;
Quand, sortant de son nid, la tourterelle blanche,
Lisse amoureusement son plumage qui luit,

Le laboureur pensif vers son champ solitaire
S’achemine, et, voyant le terrain dévasté,
Les blés brisés, tordus, inclinés vers la terre,
Le travail d’une année en un jour emporté,

Tenant sur son front brun ses deux mains attachées,
Le désespoir au cœur et les larmes aux yeux,
Il s’asseoit au milieu de ses herbes fauchées
Et pense à ses enfants en regardant les cieux.

Mais bientôt, secouant la torpeur qui l’oppresse,
Mâle, essuyant ses yeux d’un revers de son bras,

Il retourne chez lui, sourit avec tristesse
À sa femme qui vient l’interroger tout bas ;

Puis, sortant du hangar son bœuf et sa charrue,
Il regagne le champ. — Le ciel est clair et bleu ;
Les vents sont apaisés, et, dans la plaine nue,
Il travaille en chantant sous le regard de Dieu.

Après tant de douleurs, de tourments, de misère,
Après tant de souffrance et tant de sang versé,
Voici venir la paix au sortir de la guerre,
Et voici l’avenir au sortir du passé.

Oh ! qui me donnera la science suprême
Du prophète inspiré, pour pouvoir entr’ouvrir
Les voiles du futur, ô ma France que j’aime,
Savoir dès à présent ce qui te peut guérir !

Que seras-tu demain ? Quel ouragan t’entraîne ?
Dans ton malheur d’hier, dans ton malheur nouveau,

Faut-il voir les raisons d’une chute prochaine
Ou l’aurore d’un jour plus brillant et plus beau ?

Est-ce ta destinée, à toi puissante et belle,
De nourrir des enfants sanguinaires, ingrats,
Qui déchirent tes flancs, qui mordent ta mamelle,
Et qu’il te faut toujours étouffer dans tes bras ?

Il en est qui, croyant à ton heure dernière,
Trouvent ton avenir morne et désespéré,
Disent que tu n’es plus ce que tu fus naguère,
Que ton honneur est mort, ton cœur dégénéré.

Ce n’est pas le moment de ces tristesses vaines !
Si le présent est noir, pensons à l’avenir ;
Il est toujours un terme à nos douleurs humaines :
À force de souffrance, on apprend à guérir.

L’ouragan s’est enfui : le canon fait silence.
Retournons maintenant notre champ dévasté ;

Comme le laboureur, reprenons confiance ;
Au travail ! l’hiver fuit : voici venir l’été.

Notre malheur finit, le ciel est sans nuage :
Au travail ! c’est l’instant ! Français, levons-nous tous !
Car le temps est plus sûr au sortir de l’orage,
Au sortir des douleurs le sourire est plus doux.


FIN