L’INSTANT PSYCHOLOGIQUE.

Janvier 1871.



Le canon résonnait toujours, toujours, toujours.
On entendait dans l’air de longs grondements sourds,
Des sifflements aigus, des craquements étranges.
C’était l’enfer. — Pourtant deux pauvres petits anges
Dormaient profondément, sur leur mère appuyés.
Un manteau mince, sale, étendu sur leurs piés,
Était roide de froid et constellé de givre.

La mère, elle, les yeux hagards, paraissait ivre,
Assise sur la borne, et le front dans la main.

Un enfant s’éveilla, puis dit : « Maman, j’ai faim ! »
Elle se tut.

Elle se tut.La nuit était illuminée,
Et les obus pleuvaient sur la ville damnée.

Soudain, la pauvre femme, en étendant les bras,
Tombe et pousse un long cri : un obus, à trois pas,
Vient d’éclater, frappant ses enfants sans l’atteindre.
Elle se lève, veut encore les étreindre
Les sauver, s’il se peut : son œil épouvanté
Ne trouve qu’un paquet informe, ensanglanté…
Elle s’asseoit alors, sans dire une parole :
Les enfants étaient morts, et la mère était folle.

Il pouvait être alors une heure après minuit.
Le comte von Bismarck faisait beaucoup de bruit
À Versaille, entouré de dix bouteilles vides.

Trois généraux prussiens, de sa parole avides,
L’écoutaient, dégustant le vin à petits coups.
Et Bismarck leur disait : « Chers Meinherrs, voyez-vous,
Le bombardement touche, en terme rhétorique,
À ce qu’on peut nommer l’instant psychologique… »