Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 3/Hazaurehs


HAZAUREHS.

Le territoire de cette tribu est encore plus stérile que celui des Eimauks. La rigueur du climat y est excessive. On recueille cependant quelques grains dans d’étroites vallées ; mais la principale ressource consiste dans la chair des moutons, des chevaux et des bœufs, et dans le lait, le beurre et le fromage que produisent les femelles de ces mêmes animaux.

Les Harauzehs établissent leur séjour dans des chaumières à moitié enfoncées dans les flancs des montagnes. Nous avons déjà décrit dans le tome Ier le costume de cette tribu, et nous ne pouvons faire mieux que de renvoyer à la planche en regard de la page 86 du tome Ier. Au lieu de porter des bas ils enveloppent leurs jambes de bandes de drap comme les Usbeks. Leur coiffure consisté en une espèce de calotte brodée avec deux rebords saillans.

Les femmes ont de longues robes de laine, et des bottes de peau de daim qui montent jusqu’aux genoux. Derrière leur petit bonnet pend une longue bande d’étoffe qui descend jusqu’aux reins. Il en est de fort jolies, et ce qu’il y a de plus surprenant chez une tribu presque sauvage, c’est qu’elles jouissent d’un ascendant sans exemple parmi les peuplades voisines.

Dans chaque ménage, la femme dirige tout, veille aux intérêts domestiques, fait les honneurs de la maison, et le mari la consulte dans toutes ses entreprises. Jamais les femmes ne sont battues ; elles ne sont ni enfermées ni voilées. Il est vrai qu’elles se piquent fort peu de chasteté, et se livrent souvent au plus odieux libertinage. Dans la partie nord-est, qui est la plus civilisée, les femmes se prostituent pour de l’argent durant l’absence de leurs maris. Quoique ceux-ci ne soient point jaloux, ils ne manquent jamais de punir de mort l’adultère, s’ils viennent à le découvrir.

Dans la partie nord-ouest on pratique une odieuse coutume, nommée kourou-bistaun ; les maris y livrent volontiers leurs femmes, pour de l’argent, aux embrassemens de leurs hôtes. Lorsqu’un de ces débonnaires époux aperçoit, en rentrant chez lui, une paire de chaussures à la porte de la chambre de sa femme, il a soin de s’éloigner.

Les habitans des deux sexes sont très-paresseux, et ils passent presque toute la journée assis autour d’un poêle ; ils excellent tous à chanter et à pincer de la guitare, et un grand nombre d’entr’eux sont poëtes. Les amans et leurs maîtresses célèbrent leur flamme en vers de leur composition, et souvent les hommes s’amusent des heures entières à se railler dans des satires improvisées.

Hors de la maison, la chasse et les courses de chevaux sont leurs passe-temps ordinaires. Le prix de la course est d’ordinaire un certain nombre de bœufs, de moutons, ou d’habits complets. Ils sont très adroits à tirer au blanc avec l’arc ou le mousquet. Leurs autres armes sont le sabre persan, une dague longue et étroite enfermée dans un fourreau de bois, et quelquefois une lance.

Les Hazaurehs sont très-colères, et se livrent aux plus violens excès. Viennent-ils à se réconcilier, le moindre mot occasionne de nouveaux transports. À part ces momens de vivacité, ils sont gais, sociables et d’un excellent naturel. On raconte des traits nombreux de leur extrême simplicité. Il me suffira de dire qu’ils sont fermement persuadés que le roi de Caboul est aussi grand qu’une tour. Ils croient aussi que leurs magiciens ont le pouvoir de faire disparoitre, même de manger le foie des personnes sur qui ils fixent leurs regards.

Les villages hazaurehs se composent de vingt à deux cents maisons ; mais il en est qui vivent dans des tentes tartares, comme les Eimauks.

Chaque village est défendu par une haute tour capable de contenir dix à douze soldats, et percée de toutes parts de meurtrières. En temps de paix un homme seul reste dans la tour, et frappe un gong, ou grand bassin de cuivre, en cas d’alarme. Ce signal donné par une seule tour est répété par toutes les autres de montagne en montagne, et la population entière est sur pied en un clin-d’œil.

Le chef du village s’appelle hoker ; il a pour adjoint un ou deux anciens nommés auksukaul, ce qui signifie littéralement barbes blanches.

Chaque tribu est gouvernée par un sultan dont l’autorité est absolue. Il administre la justice, impose des amendes, emprisonne, et prononce même des condamnations à mort. Quelques-uns de ces sultans possèdent de beaux châteaux ; ils s’habillent élégamment, et entretiennent un nombreux domestique, tout brillant d’or et d’argent. Ils vivent entr’eux dans des guerres continuelles ; et il n’y a presque point de tribu qui ne soit en état d’hostilité avec ses voisins. Parfois deux ou trois sultans se liguent pour se révolter contre le roi de Caboul ; mais ces alliances ne sont point durables, et ne produisent aucun résultat pour les confédérés.

Un des officiers employés à lever le tribut m’a raconté que souvent six ou sept de ces chefs lui déclaroient dans leur assemblée qu’ils ne vouloient point payer le tribut, et qu’il pouvoit s’en aller ; dans la même nuit, un des chefs venoit lui notifier qu’il n’avoit aucune part à cette rébellion ; le lendemain deux ou trois autres se soumettoient également, et la confédération étoit bientôt dissoute.

Quand l’épée est une fois tirée, la guerre dure long-temps ; mais les rebelles finissent constamment par être soumis.

Tous les Hazaurehs sont de fanatiques sectateurs d’Hali. Ils ont en horreur les Afghans, les Usbeks et les Eimauks qui tiennent à la secte opposée ; ils insultent et maltraitent même les Sunnites qui touchent leur territoire. Ceux de leurs compatriotes qui passent pour s’être laissé séduire par les Afghans, sont exposés aux plus cruelles invectives ; on ne les aborde jamais sans leur prodiguer les noms des animaux les plus immondes.

D’après cela, il est tout simple que les Taujiks ne s’établissent point parmi eux, et que les Hazaurehs aient peu de commerce ou de communication avec le reste des hommes. Le peu de négoce qu’ils font consiste en échanges ; ils se procurent ainsi le sucre et le sel, qui leur manquent.

Ce que je viens de dire des Hazaurehs n’est pas sans exception. Plusieurs tribus, et notamment celle des Gurrées, ont un gouvernement démocratique.

Il y a aussi beaucoup de Hazaurehs à Caboul. Cinq cents d’entr’eux servent dans la garde du roi. Les autres gagnent leur vie par leur travail, et surtout comme muletiers.

Le nombre total de cette population doit être d’environ trois cent cinquante mille âmes ; il n’est pas facile de le déterminer au juste.

Je ne terminerai pas cette notice sur les Hazaurehs, sans dire un mot des célèbres idoles colossales de Baumiaunx, qui se trouvent dans leur pays.

Les principales de ces idoles sont au nombre de deux ; elles représentent, l’une un homme, l’autre une femme. La première a soixante pieds de hauteur, et la seconde environ quarante. Le dieu est coiffé d’un turban ; une de ses mains est placée sur sa bouche, et l’autre sur sa poitrine. Les environs sont remplis de grottes, mais on ne dit pas qu’elles renferment des figures ou des inscriptions.

Les savans, versés dans les antiquités indiennes, pensent que ces idoles ont rapport au culte de Buddha. Leur situation rappelle une de ces statues colossales, placée à l’entrée du grand temple supposée appartenir à la religion de Buddha, au milieu de la ville des Grottes, que l’on voit à Canaro, dans l’île de Salsette.