Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 3/Administration de la justice et de la police


ADMINISTRATION
DE LA
JUSTICE ET DE LA POLICE.

La justice est rendue dans les villes par le cauzy et par les muftis, l’amini-mehkemeh et le darogha de l’adawlut.

Dans les procès civils le cauzy reçoit les requêtes, et fait assigner le défendeur par un de ses officiers. La cause est instruite et jugée selon les formalités et les règles du schirra, ou loi mahométane, modifiée par quelques coutumes locales. Dans les cas douteux, les muftis appuient leur décision sur des citations d’ouvrages renommés de jurisprudence.

Jamais on ne résiste aux ordres du cauzy, car ce seroit une impiété de ne point se conformer au schirra. Si par hasard la partie condamnée se refusoit à l’exécution du jugement, le sirdar prêteroit main-forte.

L’amini-mehkemeh reçoit les dépôts judiciaires.

Le darogha de l’adawlut est le surintendant de la justice ; son devoir est d’examiner si les procédures sont conformes à la loi ; en un mot, il tient lieu d’une cour de cassation.

Les règles sont à peu près les mêmes en matière criminelle, mais la manière de procéder est différente.

Les accusés sont d’abord conduits devant le sirdar, et c’est lui qui est chargé d’exécuter la sentence du cauzy, en cas de condamnation. Cela donne au sirdar un degré d’autorité qui devient surtout sensible quand il n’est pas en bonne intelligence avec le cauzy.

Dans les lieux où le roi fait sa résidence, même momentanée, c’est devant lui que sont portées les affaires criminelles. S’agit-il d’un objet de peu d’intérêt, il renvoie les parties devant le cauzy, ou bien il charge l’arz-bégi (l’officier dont il a été parlé plus haut) de prononcer. Les affaires graves sont exclusivement renvoyées au cauzy. Le roi ordonne après la condamnation qu’elle sera exécutée ; mais avec une protestation formelle que, si la sentence est injuste, elle retombera sur la tête du juge[1].

Il y a des cauzys dans toutes les villes considérables, et ils ont des assesseurs ou délégués dans les bourgades moins importantes.

Les cauzys n’interviennent jamais d’office ; il faut qu’on porte plainte devant eux. Lorsqu’un crime n’est pas avoué par l’accusé, le cauzy seul peut en connoître ; mais si le délit est confessé, les jirgas prononcent le plus souvent sur la peine ou sur la composition pécuniaire, ainsi qu’il a été dit vers la fin du tome premier.

L’utilité de cette magistrature est malheureusement rendue nulle par la corruption de ceux qui l’exercent ; le pouvoir et la richesse dictent trop souvent les arrêts des cauzys.

Ces juges sont nommés par le roi, sur la recommandation de l’iman de la cour ; très-peu reçoivent leur salaire de la couronne. On impose, dans les districts, sur chaque famille, une petite taxe pour l’entretien des cauzys ; il leur est dû un casuel pour la célébration des mariages, pour le sceau des actes, et peut-être aussi pour les jugemens qu’ils expédient.

Les muftis perçoivent une rétribution pour chaque jugement qu’ils rendent ; mais elle est trop modique pour les faire subsister honorablement.

La police des villes se fait sous l’inspection du sirdar par le mirschoub, le mohtesib et le darogha des bazars.

L’office de mirschoub répond à celui de cotoual dans l’Inde. Il commande à des gardes de nuit nommés kishickis, lesquels font la ronde dans les differens quartiers de la ville.

Le mirschoub fait lui-même la ronde toutes les nuits ; il arrête les voleurs, les perturbateurs du repos public, et ceux qui offensent les bonnes mœurs.

Toutefois ces agens de la police oppriment plus les habitans qu’ils ne les protègent. À Peshawer, au moins, le mirschoub paie une somme annuelle pour sa place, et il a droit d’extorquer de l’argent des cabarets, des maisons de jeux, et des personnes qui tiennent des lieux suspects.

Le mohtesib inflige les peines prononcées par la loi musulmane contre les délinquans qui boivent du vin, ou commettent d’autres irrégularités.

Des agens du même nom parcourent les campagnes deux ou trois fois par année, et y surveillent la conduite des habitans.

Les mohtesibs des villes jouissent d’un traitement annuel, et perçoivent une petite taxe sur les boutiques. Ceux des campagnes lèvent, dans le cours de leurs tournées, les droits que la loi leur accorde. Ces officiers sont toujours des mollahs.

Le darogha des bazars fixe le prix des denrées, et surveille les poids et mesures. Les cudkodas, ou chefs de chaque branche de commerce, prennent ses ordres, et les font exécuter.

Dans les palais et dans les camps du roi il y a toujours un cauzy-asker, ou juge de l’armée et un mohtesib de l’armée ; leurs fonctions sont analogues à celles des magistrats des villes.

Les propriétaires ruraux sont responsables de la police de leurs cantons respectifs. Quand il s’est commis un vol, le chef du village ou de la subdivision de la tribu est tenu de livrer le coupable ou de répondre des objets dérobés. Il paie d’abord l’indemnité, et s’en rembourse par une taxe sur les habitans.

Sur les routes les plus fréquentées il y a une espèce de gendarmerie pour servir d’escorte aux voyageurs et les protéger.

Cette garde est fournie par le khan de la tribu, mais payée par le trésor royal.

Après tout, la police de ce pays est fort mauvaise. Dans plusieurs parties du royaume, les voyageurs n’ont d’autre moyen de pourvoir à leur sûreté que de louer une escorte de la tribu, ou de payer de certains droits de douanes à son chef. L’autorité royale, impuissante pour prévenir les désordres, se borne à les châtier en envoyant des troupes qui vivent à discrétion chez les tribus adonnées au brigandage, et en saisissent les chefs.

Ce n’est que dans les villes et dans leur banlieue que la police recherche les auteurs des meurtres commis pour cause de représailles.


  1. Cette forme de procéder ne semble-t-elle pas exactement calquée sur le mystère vénérable de la Passion ?
    (Note du Trad.)