Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 2/Tribus orientales


TRIBUS ORIENTALES.

BERDOURAUNÉES.

Quoique les tribus de l’est présentent une grande diversité, elles sont toutes de la même race, ne parlent qu’une même langue, et forment un seul corps de nation.

Je commence par les Berdouraunées et par les Euzofzyes, qui en font partie intégrante.

Les Berdouraunées se divisent en une multitude de petites sociétés. Comme ils se livrent tous à l’agriculture, ils occupent moins d’espace que les tribus nomades, et ils se trouvent de jour en jour plus à l’étroit. De là naissent des disputes continuelles, et même des combats sanglans. L’entassement de la population se fait sentir parmi les individus. La difficulté de trouver des moyens de subsistance les rend braves, mais querelleurs ; actifs, industrieux et spirituels, mais égoïstes, et toujours prêts à recourir à des voies déshonnêtes.

Il existe parmi eux des confédérations qui rappellent les sodalitia du temps des rois saxons qui ont régné sur l’Angleterre. Plusieurs individus s’engagent à s’aider les uns les autres dans leurs entreprises, quelque événement qu’il puisse arriver. On appelle Goundis ces alliances dont les nœuds passent pour être plus sacrés que les liens du sang. On a vu de ces initiés sacrifier réciproquement leur fortune, leur vie même à la commune défense.

Les Eusofzyes (Voyez la Planche en regard.) sont une tribu extrêmement nombreuse, divisée en plusieurs petites communautés, régies par des constitutions démocratiques. Ils possèdent une vaste contrée entre les montagnes de l’Otmaunkhail, l’Indus, la chaîne de Hindou-Cousch, et la rivière de Caboul. Ce pays leur appartient depuis trois cents ans ; quoique presque tous sachent vaguement qu’ils tirent leur origine de l’ouest, il en est peu qui connoissent l’habitation primitive et les annales de leurs aïeux.

Ces hommes semblent unir la
Eufoszye.
férocité et la ruse des sauvages à la modération qui caractérise des peuples mieux

civilisés. Dans leurs guerres avec les Afghans, s’ils faisoient grâce à leurs prisonniers, ce n’étoit que par respect pour leur origine. Quant aux autres, ils égorgeaient sans compassion tout ce qu’ils prenaient les armes à la main. Toutefois ils traitoient avec douceur les habitans des pays vaincus, et sembloient avoir adopté pour maxime de ne pas faire plus d’une guerre à la fois.

Les Eusofzyes se divisent en deux branches principales, les Eusofs et les Munders ; celles-ci se subdivisent en hordes ou clans.

Chaque horde procède périodiquement à une division de terres, pour un certain nombre d’années, de sorte que toutes jouissent alternativement du sol le plus fertile. Pour faire comprendre ce singulier arrangement, je citerai l’exemple de la tribu de Naikpickhail.

Chez les Naikpickhails les terres se divisent en deux parts d’une même étendue, et par conséquent d’une qualité fort inégale. L’oulouss ou la tribu se divise de même en deux portions qui tirent tous les dix ans les terres au sort. Si le hasard favorise la moitié des habitans qui sont déjà en possession du meilleur lot, ils en conservent la jouissance. Dans le cas contraire, un échange se fait immédiatement.

Le tirage se fait tous les dix ans dans un village situé entre les deux lots. Une multitude innombrable accourt pour être témoin de cette importante solennité ; mais comme la joie des vainqueurs et les regrets des vaincus pourroient occasionner du tumulte, les chefs ou mulliks trouvent une foule de prétextes pour traîner la chose en longueur, jusqu’à ce que la plupart des curieux s’impatientent et retournent chez eux. C’est alors que le principal chef fait le tirage, et en annonce le résultat. Ceux que le sort a favorisés en témoignent leur joie par des distributions d’aumônes, par des salves de mousqueterie, et toutes sortes de réjouissances publiques.

Quant à la prise de possession des terres, elle a lieu sans aucun trouble, et chacun se résigne à son lot. Si le sort décide que chaque moitié de l’oulouss restera sur son ancien territoire, les trois hordes dont se compose chacune de ces moitiés, n’en règlent pas moins, par la voie du sort, une nouvelle distribution de leurs parts respectives.

Un procedé aussi bizarre et l’incertitude qu’il occasionne dans les propriétés territoriales, est un grand obstacle aux progrès de la culture. Cependant le pays des Eusofzyes est fort bien cultivé ; les villages et les canaux d’irrigation sont aussi bien entretenus que partout ailleurs.

L’espace de temps pendant lequel ces diverses tribus possèdent les terres est loin d’être uniforme. Chez les Bounerées, on tire au sort tous les ans. Chez les Jadouns, le tirage a lieu entre les particuliers, et non entre les subdivisions de la tribu. Chez les Oimaunkhails, au contraire, ce changement se fait tous les vingt ans.

Il est impossible d’énumérer toutes les petites républiques dont se composent les Eusofzyes. J’en ai compté au moins trente qui ont peu de liaisons entr’elles et avec leurs voisins ; mais il est probable que le nombre des communautés indépendantes est encore plus considérable. Les Afghans portent à neuf cent mille âmes cette population, y compris les Fakirs et les autres tributaires dont je vais parler ; mais je crois que cette évaluation est exagérée, et qu’elle ne dépasse pas deux cent mille âmes.