CHAPITRE DCCLXXVII.

Hôtel des Menus plaisirs.


Lhôtel dit vulgairement des menus plaisirs du roi, est le dépôt de toutes les machines, décorations & habillemens qui servent aux fêtes, c’est l’image du chaos ; on y entasse les débris des catafalques avec ceux d’une salle de bal. Le même chariot les voiture, & on lit : Menus plaisirs du roi, sur les fragmens d’un mausolée. Ces matériaux épars coûtent autant à rajuster que s’ils étoient neufs. Toutes les filles d’opéra, pour peu qu’elles soient protégées, trouvent là du satin & autres étoffes, dont elles n’ont jamais assez. Quand on dessert une table, les valets se livrent au gaspillage, & les superfluités se manifestent ; quand on voit les débris des fêtes données à la cour, il ne faut que cette vue pour affliger un bon citoyen sur l’emploi du temps & de l’argent.

Il y a là une école de déclamation, où s’exercent les débutans, sous la direction de quelques comédiens qui prennent le titre de professeurs.

Le feu vient de prendre à ce magasin ; mais quand il arrive un incendie dans un magasin royal, le public ne s’y intéresse pas vivement : il appelle cet accident un compte rendu écrit avec un charbon. Puis il ajoute : il y aura toujours de l’argent pour réparer cela.

Les pères capucins ont accouru à cet incendie avec leur zèle accoutumé, & pour sauver les richesses théâtrales des trois spectacles. On a vu l’un s’affubler d’un casque, porter un cimeterre sous son bras, & tenir à la main la baguette de Médée ; l’autre avoit entassé sur ses épaules les jupons de satin des actrices, & le caducée de Mercure, ce qui contrastoit avec sa barbe & son capuchon. Celui-ci, les mains armées des rayons du char du soleil, croyoit sauver de gros diamans, & s’étoit enveloppé du vêtement d’un druide. Ces mains sacrées, qui touchoient pour la première fois à tant d’objets profanes, prouvoient cet ancien adage : que nécessité n’a point de loi ; mais au milieu de l’embrasement, il a fallu rire malgré soi, en voyant des capucins se charger des immodestes débris des décorations théâtrales, embrasser en fuyant des bustes voluptueux, & prêter du secours à tous les dieux & déesses demi-nus du paganisme.

Ce qui est non moins remarquable, c’est que dans l’histoire des capucins, plusieurs, à différentes époques, sont morts victimes étranges de l’embrasement d’une salle d’opéra. Quelle destinée ! être brûlé vif dans le même lieu qu’on a poursuivi de ses anathèmes. Il nous semble qu’il seroit décent de dispenser le zèle & la charité de ces pauvres pères, de s’étendre jusqu’à des objets qui contrastent avec leur état.

Les récollets vont aussi au feu, montrent le même zèle que les pères capucins ; & quand on oublie de leur faire partager l’honneur du courage & la gloire du succès, ils réclament, dans le journal de Paris, la publication de leurs faits charitables.

Depuis l’incendie de l’opéra, chaque spectacle a ses réservoirs & ses pompiers. Les pompiers sont au réservoir, & il y a une sonnette pour donner le signal du danger. Un malin tira la sonnette tout au milieu d’une pièce tragique ; à l’instant le spectacle fut inondé, les acteurs rafraîchis, les auditeurs trempés ; on murmura ; mais on ne put se plaindre de la ponctualité.

Toutes les salles de spectacles semblent devoir, tôt ou tard, appartenir aux flammes. Point d’années qu’il n’en brûle deux ou trois en Europe : des dangers aussi fréquens ne ralentissent pas l’amour du théâtre ; il est porté à l’excès dans toutes les conditions.

La salle qui doit inspirer le plus de terreur pour un embrasement subit, c’est celle des variétés, au palais-royal ; & comme elle communique à des échoppes de bois doublement rangées sur deux files, il y a de quoi être saisi d’effroi, sur le péril que courent journellement les spectateurs ; il est vrai que les pompes & les pompiers opposent à ce fléau la plus exacte vigilance ; mais qui peut calculer les suites d’une fatale étincelle jetée au milieu de ce bûcher formé d’alumettes, peint, doré & vernissé ?

Le feu pourroit bien prendre pour punir certaines immoralités d’une espèce grave. Dans une pièce jouée à ces variétés, deux coquins veulent se défaire d’un honnête homme ; l’un dit à l’autre : la rivière coule pour tout le monde, afin de lui faire entendre qu’on pourroit jeter l’homme par-dessus les ponts. Ne vaudroit-il pas mieux avoir deux théâtres français, deux théâtres émulateurs, à la place de ces tréteaux où l’on distribue au peuple d’aussi étranges maximes.