(tome IXp. 40-50).

CHAPITRE DCLXXXV.

Chercheurs de la Pierre philosophale.


Toujours de nouveaux adeptes cherchant la pierre philosophale. L’ignorance de la chymie en faisoit jadis un grand nombre ; les découvertes nouvelles ont redonné quelque vogue au desir de tenter le grand œuvre.

Cela ne doit pas étonner dans un siècle où l’esprit humain, audacieux & avide de s’instruire, est retombé dans les sciences occultes de la chiromancie, de la magie, de l’astrologie, de l’alchymie. La philosophie hermétique, qui chatouille l’avarice de l’homme, ne pouvoit pas manquer d’avoir des partisans, car l’or a de nombreux adorateurs.

Parmi ces imposteurs ou ces hommes trompés, on a vu figurer un ex-capucin, qui fit des expériences du grand œuvre devant Louis XIII, le cardinal de Richelieu, & plusieurs personnes de la cour : l’anecdote est assez curieuse pour que je la rapporte ici.

Cet ex-capucin, nommé Dubois, étoit un de ces hommes dont la vie est romanesque : il avoit voyagé dans le levant, pendant sa jeunesse. Après avoir vécu dans la débauche, il se fit capucin ; ennuyé de ce nouveau genre de vie, il jeta le froc, & s’enfuit par-dessus les murs des tuileries. Trois ans après, son esprit inquiet le ramena dans l’ordre séraphique ; il prononça ses vœux, & fut admis aux ordres sacrés. Au bout de dix années, il quitta encore l’habit de capucin, & fut se promener en Allemagne. Là, il embrassa la religion luthérienne, & trouva des adeptes qui l’initièrent à l’étude du grand œuvre. Trompé ou trompeur, il revint à Paris avec le prétendu secret de faire de l’or ; & comme si ce beau secret donnoit de l’audace, il brava le regard des capucins, & cet homme, qui étoit moine & prêtre, se maria à Saint-Sulpice avec la fille d’un guichetier de la conciergerie.

Tout charlatan est causeur ; & ne parlant que de ce qui l’occupe, il en parle assez bien. L’ex-capucin ayant séduit quelques esprits foibles & crédules, qui le regardèrent comme un homme merveilleux, fut admis insensiblement auprès du fameux père Joseph, le bras droit & le conseil du cardinal de Richelieu. Le ministre ouvrit l’oreille aux promesses d’un adepte qui ne se vantoit pas moins que d’augmenter la richesse de la France, la grandeur de son éminence, & de fournir à toutes les dépenses de la guerre. Le grand besoin rend confians les génies les plus profonds : le cardinal de Richelieu ne croyoit rien d’impossible, & ne soupçonnoit même pas qu’on pût tromper son regard ; il crut le père Joseph, & il fut arrêté que le fabricant d’or travailleroit en présence du roi, de la reine, du cardinal, du père Joseph, du surintendant & autres, qui prisoient par-dessus tout cette importante découverte.

Le jour étant pris, Dubois se rend au louvre, apporte une coupelle & un creuset pour son expérience, allume le feu, y met ses vaisseaux ; & de peur qu’on ne le soupçonne de fourberie, il accepte pour aide de son travail, un garde-du-corps que le roi lui-même lui choisit.

Alors Dubois élevant la voix, dit : « Qu’il plaise à sa majesté de commander qu’un de ses soldats donne dix ou douze balles de mousquet, que je vais convertir en or. » On donna les balles, & Dubois fit voir, en même temps, qu’il jetoit sur le plomb la valeur d’un grain de sa poudre de projection ; après quoi il couvrit de cendres les balles qui étoient dans la coupelle, & dit encore à haute voix : « Qu’il plaise à sa majesté d’écarter peu à peu les cendres avec un soufflet, ou d’en donner l’ordre à qui il lui plaira. » Louis XIII ne voulut confier ce soin à personne ; il prit le soufflet, & comme il souffloit fort, dans l’impatience de découvrir cet échantillon des richesses infinies qui lui étoient promises ; les cendres voltigèrent sur les assistans, & la reine, plus curieuse ou plus intéressée, s’en laissoit accabler. Toutes les cendres étant soulevées, le lingot d’or parut. Ce ne fut qu’un cri de surprise, & puis d’alégresse : sa majesté & son éminence embrassèrent Dubois ; le roi, dans son enthousiasme, le déclara noble, & le fit chevalier, en lui donnant l’accollade à la façon des anciens preux chevaliers de la table ronde ; & pour combler, en un mot, toutes les faveurs, il lui permit de chasser dans toute l’étendue de ses plaisirs.

Le cardinal de Richelieu, que j’ai toujours admiré, parce qu’il avoit une ame forte, eut un beau mouvement : il dit à Louis XIII qu’il fallait ôter les tailles, taillons, subsides, & toutes les impositions qui sont à charge au peuple ; que le roi ne réserveroit que son domaine, avec quelques fermes & droits seulement, comme des marques de sa suzeraineté & de sa puissance souveraine. L’œil étincelant de joie, il annonçoit la renaissance de l’âge d’or, & ce qui flattoit encore plus son génie politique, la suprême domination de la France sur toutes les puissances de l’Europe ; il embrassoit le père Joseph, & lui promettoit à l’oreille le chapeau de cardinal. Le garde-du-corps eut huit mille livres pour avoir aidé à cette belle œuvre, & tous les assistans, dans le ravissement & dans l’ivresse, respectoient l’ex-capucin. Je le crois sans peine. Si la poule de la sable, si la poule aux œufs d’or existoit, elle pondroit fièrement à Versailles, & les gardes-du-corps, loin de la gêner dans ses fonctions, monteroient la garde & formeroient barrière autour d’elle.

Dubois fit une nouvelle expérience, & le roi tira lui-même du feu le creuset avec des pincettes : la vue de ce nouveau lingot causa un redoublement de plaisir ; quand il fut refroidi, il passa dans les mains de sa majesté, qui envoya chercher un orfèvre, lequel, après avoir fait l’essai de ces deux échantillons, trouva que l’or n’étoit qu’à vingt-deux carats, c’est-à-dire, au titre courant de l’espèce monnoyée. Comme l’ex-capucin craignoit que ce rapport si parfait avec la monnoie ne fît soupçonner quelque chose, il se hâta de dire, que pour ses essais il faisoit l’or à ce titre ; mais que dans son travail en grand de la transmutation, son or seroit pur à vingt-quatre carats. L’auguste assemblée, qui se plaisoit dans son illusion, fut satisfaite de cette réponse.

Les expériences étant faites, le cardinal de Richelieu tira Dubois à part, & lui dit que pour commencer, le roi n’avoit besoin que de huit cents mille francs par semaine, mais qu’il falloit qu’ils fussent délivrés régulièrement. Le charlatan promit tout, pourvu qu’on lui laissât seulement dix jours pour bien cuire sa poudre de projection, qui, par un accident, avoit été incrudée, jargon de l’art, auquel le cardinal ne fit point attention, en disant qu’il lui accordoit non-seulement dix jours ; mais vingt, s’il en avoit besoin.

L’ex-capucin, au lieu de faire son travail & de purifier sa poudre, prit le plaisir de la chasse, fit grande chère chez lui, assembla tous les gens de sa connoissance, les régala avec magnificence, les entretint de ses succès & de sa science sublime ; il fut regardé partout comme un homme extraordinaire.

Cependant le temps se passoit, & rien ne se préparoit. Le cardinal envoya le père Joseph solliciter le faiseur d’or de se mettre à l’œuvre. Il demanda quelques jours, qu’on lui accorda, & qu’il ne mit pas mieux à profit. Le roi n’étoit pas moins impatient de voir de gros saumons d’or de cinq à six cents mille livres ; car les rois ne font plus rien qu’avec de l’or, ainsi que moi foible particulier ; mais comme les saumons ne paroissoient point, on eut des soupçons, & bientôt des craintes d’avoir été dupé.

Il y eut des ordres pour veiller de près ce charlatan, & l’empêcher de prendre la fuite, comme en effet il le méditoit. Bientôt le cardinal, qui ne marchandoit point la liberté d’un homme, le fit transférer au château de Vincennes, où il fut licite à l’ex-capucin de faire beaucoup d’essais qui ne produisirent rien. Après plusieurs tentatives encore inutiles, il ne laissa plus douter qu’il ne fût un imposteur. Vainement disoit-il qu’il lui étoit impossible de travailler n’étant point libre, & que l’esclavage détruisoit la vertu de sa poudre de projection ou de multiplication : il fut conduit à la bastille, & mis dans un cachot.

Le cardinal de Richelieu n’étoit point homme à lui pardonner de l’avoir abusé si publiquement & si solemnellement ; mais en habile politique, il ne voulut point paroître avoir été trompé par un art surnaturel, ce qui auroit donné trop beau jeu aux rieurs. On rechercha dans la vie privée de l’ex-capucin, tout ce qui pouvoit l’inculper : Richelieu créa une commission ; on représenta à l’ex-capucin la rognure de plusieurs pièces d’or, & il fut aisé de le condamner comme ayant altéré la monnoie, ou en ayant même fait de la fausse.

Sa vie errante & vagabonde offroit plusieurs délits ; il fut jugé par la commission, & condamné à être pendu. Comme il alloit mourir, il déclara qu’il avoit trompé de dessein prémédité le roi, la reine, & monseigneur le cardinal ; il avoua qu’il n’avoit jamais su faire de l’or ; mais qu’ayant reconnu l’extrême crédulité des hommes sur tout ce qui leur promettoit une immense fortune, il avoit mis à profit ce penchant, pour vivre aux dépens de ceux qui l’écoutoient ; il ajouta qu’il avoit composé & qu’il vendoit fort cher un petit livret, où étoit renfermé son prétendu secret de faire de l’or, & que, selon les acheteurs intéressés & crédules, il haussoit ou baissoit le prix de son ouvrage. Pour dernier aveu, il dit que tout son procédé consistoit dans un escamotage subtil ; que sous prétexte d’arranger la coupelle, il glissoit adroitement, sans que personne s’en apperçût, un certain point d’or sous la cendre, & en retiroit le plomb. Cet or provenoit de la rognure des pièces d’or ; & c’étoit ainsi qu’il avoit eu la témérité de vouloir tromper le roi, la reine, & monseigneur le cardinal.

Dubois fut pendu le 25 juin 1637.

Supprimez la fin tragique de l’ex-capucin, connoissez-vous, lecteur, un sujet plus plaisant, ou qui prête mieux aux ariettes & au dialogue d’un opéra-comique ? L’éminence rouge, l’éminence grise, les graves personnages autour du creuset, le fourbe qui se joue de tous ces acteurs figurant sur la scène du monde, de ces grands acteurs qui ont besoin d’or comme nous, qui l’aiment comme nous, qui, comme nous, n’en ont jamais assez, qui embrassent comme nous celui qui leur fait des promesses. Oh ! quelle comédie philosophique ! J’en ris tout seul, au fond de mon cabinet.