(tome IXp. 28-32).

CHAPITRE DCLXXXII.

Petits Appartemens du Roi.


Cest un assemblage de salles qui communiquent l’une à l’autre ; mais qui toutes n’ont aucune régularité. On a été obligé de les faire en perçant des murs, en interrompant des escaliers, pour en former de nouveaux, qu’il faut perpétuellement monter & descendre, afin de suivre la continuité de ces nombreux appartemens. C’est le séjour habituel du monarque, & c’est là qu’il se livre à la lecture & à l’étude.

Le roi a trois chambres pleines de livres, qui font partie de ce qu’on appelle petits appartemens du roi ; ces trois chambres peuvent contenir douze à quinze mille volumes. On y trouve les meilleurs ouvrages des poëtes anglais. Un livre usé, dans cette bibliothèque, c’est le dictionnaire anglais de Boyer ; il est usé comme le dictionnaire d’un écolier, ce qui prouve qu’il est consulté journellement. Un ouvrage que le roi consulte encore avec le plus d’assiduité, c’est la Gazette de France, en 200 volumes in-4o. C’est à coup sûr le seul exemplaire complet qui existe en Europe.

Cette gazette, témoignage de présentation, monument d’étiquette pour les mariages, pour les cérémonies de toute espèce, &c. fait loi ; c’est le code de la cour. Code curieux !

Le roi lit, & beaucoup ; il veut s’instruire, & il est instruit.

Dans les autres salles, grand nombre d’instrumens de physique, peu de tableaux. On y voit le portrait de l’empereur de la Chine, qu’il a envoyé lui-même au roi de France. L’empereur de la Chine est vêtu comme un religieux.

On vous tire de grand tiroirs remplis de cuillers d’or, de fourchettes, de salières & de coquetières d’or, dont on ne se sert pas ; on y voit des chandeliers d’or, &c.

Ce qui est conservé soigneusement, & ce que l’on montre aux curieux, c’est la canne de Louis XIV. Elle est modeste, car la béquille est de porcelaine. Quand on touche cette canne, on se rappelle la main puissante qui pesoit sur elle, & qui a bâti le magnifique château où l’on se promène ; mais les vicissitudes du règne de ce monarque s’offrent aussi à la mémoire, & cette grandeur passée a coûté à la France bien du sang & des larmes.

Les poëtes disent qu’on placera un jour la canne de Voltaire, dont M. Clos est propriétaire jaloux, à côté de celle de Louis XIV ; c’est une mystification dont on a usé envers leur crédulité.

On sort de ces petits appartemens avec la réflexion, que si le monarque représente ailleurs, il est là dans ses foyers domestiques, & qu’il fait plus de cas sans doute de ces heures de loisir, & de sa paisible solitude, que de sa vie publique & solemnelle.

De tous les métiers, le métier de roi est le plus difficile comme le plus pénible. Sommes-nous heureux, tous tant que nous sommes, par le métier qu’il a plu à la Providence de nous imposer ? Non ; mais bien par ces heures d’intervalle où nous nous livrons à nos goûts sans contrainte & sans témoins fâcheux.

Ces trois chambres remplies de livres jettent de l’intérêt dans ces appartemens, & font plus de plaisir à rencontrer que les richesses matérielles qu’ils renferment. Ces livres disent que le monarque jouit du plaisir le plus délicieux, du plaisir qui ne s’use point, & qu’on retrouve aussi vif dans tous les âges de la vie ; du plaisir enfin qui s’accroît par l’exercice de la lecture.

Le vulgaire pense que les princes sont perpétuellement dissipés, qu’ils passent leur vie dans le désœuvrement ; c’est que le vulgaire n’apperçoit pas lui-même d’autre plaisir. Je puis certifier que le roi donne, chaque jour, plusieurs heures à l’étude, & qu’il est peu de particuliers qui les emploient aussi utilement que lui.

Il lit l’histoire, ce grand maître en lumières ; les époques de la liberté l’intéressent, s’il est vrai, comme on me l’a assuré, qu’il a proféré ces paroles : J’aime ces républicains ; mais je suis né dans une ancienne monarchie, & j’en suis le roi.