CHAPITRE DCXLIII.

Vins.


Parce qu’il n’y a que de mauvais vignobles aux environs de Paris, & des marchands de vins à pendre, n’imaginez pas que l’on y boive que de mauvais vins. Il n’y a pas plus de comparaison entre la cave d’un cabaretier & celle d’un gourmet, qu’entre le savetier & le prince.

Ô pouvoir de l’argent, aimant universel ! Le vin, ce liquide précieux a beau croître dans des régions éloignées, a beau tendre à s’échapper, on l’enchaîne, on le fait voyager ; il n’est pas pour la bouche de celui qui a foulé la cuve. Le riche, avec une piece de monnoie, lui défend de le boire. Ce liquide transporté avec art, arrive des quatre coins de l’Europe, & descend dans les caves du fauxbourg Saint-Germain & du fauxbourg Saint-Honoré.

Là sont les robinets des fontaines abondantes & pourprées, d’où coulent les vins les plus exquis, comme s’ils croissoient aux portes de la capitale. Le tonneau de l’excellent Bourgogne, du délicieux Champagne[1] ne paie pas plus d’entrée que le tonneau de Brie ; & le vin qui déchire le gosier du tailleur, est taxé au même taux que le Nectar qui parfume la bouche du conseiller d’état.

Vous, beaux esprits, philosophes, peintres & musiciens, qui possédez un grenier, mais qui n’avez point de cave, descendez & venez à la table des riches ; ce qu’on y sert le mérite bien. Après avoir bu la veille du vin de cabaret, sentez l’extrême différence qu’offrent les celliers de la même ville. Goûtez les vins de la Romanée, de Saint-Vivant, de Cîteaux, de Chambertin, de Saint-George, de Grave, tant rouge que blanc ; humez le vin de Rotat, de Chypre, de Pacaret, de Samos, de Malvoisie, de Madere, de Malaga, de Malaga-muscat, de Syracuse ; donnez quelques saillies aux convives pour la bouteille d’, de Rozé, & appuyez sur le Tokai, si vous le rencontrez ; car c’est à mon avis le premier vin de la terre, & il n’appartient qu’aux maîtres de la terre d’en boire.

Ô renversement de la joie françoise ! On ne boit plus, ou plutôt l’on craint de boire ; on avale de l’eau devant ces flacons qui raffraîchissent dans des seaux d’argent, & dans la glace pilée. La gaieté légere & brillante, si nécessaire aux écrits & à la santé, n’est cependant qu’au fond du verre ; mais l’avide esprit de calcul suit les gens à table. On y rêve encore à sa fortune ; on y parle de ses projets ambitieux ; on y immole ses victimes sous les traits de la satyre. Quoi, être encore dur à table ! Ô forfait ! On n’y jouit plus, & l’on a peur que Bacchus, qui chasse quelquefois de force toute dissimulation, ne vienne à dérouler le premier pli du cœur.

Riches ! que faites-vous de vos vins exquis ? Vous les avalez ; mais vous ne les savourez pas. Faites-les boire aux enfans des arts ; leur verve en sera échauffée ; il en naîtra quelques traits heureux, & vous qui ne faites rien, vous serez à moitié absous.

  1. Le vin rouge Champagne me paroît préférable au Bourgogne ; les avis sont partagés depuis long-tems. Ma voix au Champagne rouge.