CHAPITRE DCXXIV.

Raretés.


La recherche la plus soigneuse ne découvriroit pas les trésors cachés dans toutes les branches des sciences & des arts.

Chaque curieux, dans chaque genre, trouvera un fonds inépuisable d’objets à voir. Les médailles, les livres, les tableaux, les antiques, les coquillages, les estampes peuvent faire séparément l’occupation d’une vie entiere.

Tel savant qui a demeuré à Paris plusieurs années, est parti, oubliant quelque chose de ce qu’il avoit à y voir. On fait souvent, au bout de vingt cinq ans d’études, de nouvelles découvertes auxquelles on ne se seroit pas attendu.

C’est la mort qui ouvre ces riches cabinets, ces dépôts inconnus & cachés à tous les regards. À la levée des scellés, l’inventaire étonne & confond les spectateurs. On a peine à concevoir comment un homme a eu le loisir d’assembler tant d’objets. Mais le tems, l’argent, la patience, & sur tout l’engouement ont composé ces grandes collections.

La vente du mobilier de la marquise de Pompadour a duré un an, & les richesses des quatre parties du monde sembloient rassemblées dans les objets de luxe, de fantaisie & de magnificence qu’offroit ce rare cabinet. On le visitoit avec une admiration mêlée d’étonnement.

Un Chinois, un Turc, un Arabe, un Guebre, peuvent voyager dans notre ville ; ils trouveront à qui parler. Moyse, Zoroastre, Abraham, Mahomet, Confutsée n’ont qu’à revenir, ils ne manqueront pas d’interpretes. Pour Homere, Eurypide, Démosthene, il est si ordinaire de les entendre, tant bien que mal, que ce n’est plus une distinction.

Des talens particuliers ne sont pas moins communs. Un invalide n’a point de bras ; M. Laurent lui en fait un dont il se sert. À un autre il manque une jambe. M. Perrier lui fait une jambe sur laquelle il monte & descend les escaliers.

D’autres talens qui ont un caractere unique sont ignorés. Qui sait, par exemple, qu’une demoiselle (mademoiselle Biheron) imite des squélettes si parfaitement, qu’on croit en voir de véritables. Les muscles, les nerfs sont rendus avec une vérité frappante. La matiere qu’elle emploie est un secret qu’elle se réserve. Vous diriez de la cire ; mais vous pouvez approcher ces anatomies du feu sans qu’elles soient endommagées ; vous pouvez les laisser tomber de la hauteur du plancher sans qu’elles se brisent. Le même auteur de cet étonnant travail, vous nommera toutes les parties de l’ostéologie en grec & en latin. Des éleves font sous elle un cours anatomique, & le font sans que les sens soient frappés de ce dégoût qu’on ne surmonte pas toujours, lorsqu’il faut voir & manier des ossemens qui semblent devoir tressaillir sous la main qui les touche.

On peut amasser beaucoup de connoissances, sans autres frais que la société des savans, presque tous communicatifs ; & le baron de Holberg a eu raison de dire, qu’à Paris il n’y a rien qui soit à meilleur marché que la raison, ni rien de plus cher que la folie.

On voit chez plusieurs particuliers un amas pompeux de livres bien logés, mais peu lus. Jaloux de la reliure de leurs volumes, ils ne les communiquent jamais. Ils semblent craindre qu’un autre n’y prenne les connoissances dont ils sont privés. Mais plusieurs hommes distingués par leur naissance & leur savoir, ne rougissent pas d’être les premiers bibliothécaires de leur cabinet, & ils se plaisent à répandre & à communiquer les lumieres qu’il renferme.

Éprouvez-vous quelqu’accident ? l’art vient à votre secours. On connoît le bras artificiel du soldat invalide. Mais ne vous reste-t-il que quatre pouces de cuisses tout au plus à partir de la hanche, on enfermera le tronçon dans une boîte qui formera le haut de la cuisse artificielle ; le seul mouvement de la hanche, suffira pour imprimer aux différentes parties de cette curieuse machine, les divers mouvemens qui imiteront ceux de la nature. Ces mouvemens s’opéreront à l’aide des lames d’acier qui, logées le long de la cuisse & formant des charnieres mobiles en toutes sortes de sens, vous donneront le genou, le pied & les doigts même que vous n’avez pas.

Allez donc, malheureuses victimes des fureurs de la guerre & du caprice des rois, allez vous dédommager des membres que vous avez perdus, en trouvant des cuisses & des jambes artificielles chez les méchaniciens de nos jours. L’art, par une inconcevable adresse, a su réparer ce que le boulet frappant comme la foudre avoit emporté.