CHAPITRE DCXVIII.

Sybarites.


Je te vois, jeune sybarite, je te vois sur un lit de fleurs ! Tu défends à tes bras le plus léger exercice ; tu défends à ta pensée la plus légere réflexion ; tu ne veux autour de toi que les plus riantes couleurs ; les travaux de tes esclaves doivent encore avoir des graces. Je ne t’envie pas tes jouissances ; je voudrais prolonger pour toi cet état heureux ; mais je redoute ce moment où la douleur viendra te saisir sur ton lit de roses. Ne la connoissant pas, son dard sera cent fois plus acéré. Je te plains ; tu n’as voulu ouvrir tes sens qu’aux voluptés ; tu n’as fait qu’ouvrir une porte plus large aux douleurs.

Mon imagination perce cet appartement reculé. Qu’y vois-je ? Une bibliothèque scandaleuse, des miniatures d’une lasciveté qui fait honte à la nature, voilà ce qui orne le cabinet secret d’un sybarite moderne. Il lui faut des auteurs dépravés, des peintres criminels, qui ont mis leur gloire à contribuer au délire des hommes, & à faire naître leurs égaremens.

Le sybarite, dans l’analyse de ces ouvrages corrupteurs, cherche un raffinement coupable. Mais dans ce réduit clandestin, où l’on appelle les plaisirs, la volupté n’y pénetre pas. La réalité n’a plus de charmes sur des cœurs blasés. Le sybarite n’a plus de desirs ; il tombe dans l’assoupissement.

Quand on a dressé un autel au vice, il vous punit du culte offert. Les travers de l’esprit humain n’ont jamais enfanté une sensation agréable ; la honte la plus humiliante navre le cœur du sybarite au milieu de ces portraits voluptueux, de ces statues indécentes, de ces livres dissolus ; & il sent trop tard qu’il n’est plus de douce jouissance, dès que l’on a passé les bornes du respect que l’on doit à la nature.

En sortant de ces boudoirs, il est des hommes qui, ayant payé architectes, peintres, décorateurs, sculpteurs, veulent paroître avoir tous les avantages, tous les talens ; qui s’estiment capables de tout connoître, de tout apprécier. C’est le ridicule de certains grands qui ont une idée exagérée d’eux-mêmes : témoin ce satrape de Perse, qui alla visiter Appelles dans son attelier. Le peintre connoissoit le fastueux personnage, & ne voulut pas perdre un coup de pinceau. Le satrape errant avec toute sa suite, la robe de pourpre déployée, faisoit tout haut ses observations & se permettoit de disserter sur les tableaux & sur la peinture. Appelles, qui l’entendoit de loin, lui dit : « Mégabyse, tu te découvres mal adroitement ; il falloit rester muet sous ta robe de pourpre ; tes bracelets, tes pierreries, ton turban t’auroient fait passer pour un connoisseur ; mais vois-tu les petits garçons qui broyent mes couleurs, & qui rient sous cape de tes discours ? J’en suis fâché ; ils n’auront plus le même respect pour toi. »