CHAPITRE DXCVIII.

Table.


On ne dîne plus qu’à trois heures, & les repas sont devenus très-courts. Qui oseroit arriver dans une maison pour souper avant neuf heures & demie ! On aime mieux tuer le tems, ou rester à bâiller chez soi au coin de son feu, que de se présenter avant l’heure décidée par l’usage.

Pour ne pas avoir l’air d’un désœuvré, l’on arrive deux minutes avant que le maître d’hôtel apparoisse ; car le maître-d’hôtel ne dit plus à haute voix, comme ci-devant, madame est servie : il se montre.

Pourquoi prie-t-on à souper ? Pour faire voir qu’on a un excellent cuisinier ; pour étaler sa vaisselle & sa porcelaine. Pourquoi présente-t-on différentes liqueurs & différens vins ? À peine y goûte-t-on ; on n’a pas le tems de boire ; on se leve de table précipitamment ; on n’a voulu montrer que sa magnificence.

Le poëte qui dévore comme un loup, trouve que le tems des repas est furieusement abrégé. Il a beau se rabattre chez le fermier général, celui ci raccourcit ses repas comme le grand seigneur, & le financier lui-même n’a plus de ventre.

Ô comment le poëte n’a-t-il pas déjà fait une satyre contre ces repas succincts ! Il est passé le bon tems de la gourmandise. Le service change en un clin-d’œil, comme une décoration d’opéra. Mais qui mange là-bas, ne servant & n’écoutant personne, de très-mauvaise humeur pour peu qu’on l’interrompe ? C’est un académicien vorace ; il sait qu’il n’a pas de tems à perdre ; il regrette le siecle de Charlemagne, où l’on restoit quatre heures à table. Ô quelle force prodigieuse a l’estomac d’un académicien ! Venez-le voir manger. Cela est plus curieux que tout ce qu’il pourroit vous dire.

C’est à table, c’est à la clarté des bougies que les femmes aiment à se montrer. Toutes ont aujourd’hui les cheveux de la même couleur. On fut indécis long-tems sur le choix des brunes & des blondes : on mit d’accord ces rivales, en préférant les rousses. Les femmes affectent cette ardente couleur, en usant d’une poudre qui leur en donne le teint & les cheveux.