CHAPITRE DXCV.

Athéisme.


Nous ne le dissimulerons pas ; il n’est que trop répandu dans la capitale : non parmi les infortunés, les pauvres, les êtres souffrans, parmi ceux enfin qui auroient peut-être le plus de droit de se plaindre du fardeau pénible de l’existence ; mais parmi les riches, les hommes aisés, qui jouissent des commodités de la vie.

Il faut considérer en même tems que cette déplorable erreur n’est pas raisonnée chez le plus grand nombre, & que c’est plutôt oubli, insouciance, distraction, amour effréné du plaisir. Chez d’autres, l’athéisme est la goutte sereine de l’ame ; leur ame manque de toute espece de sensibilité. Ceux qui l’affichent ne sont plus dans les sociétés honnêtes que de misérables perroquets, répétant des phrases vieillies & décréditées. Rien ne tolere aujourd’hui cette montre détestable, & ce scandale est proscrit presqu’universellement.

L’athéisme est la somme totale de toutes les monstruosités de l’esprit humain. Il y entre de l’orgueil, du fanatisme, de l’ignorance, de l’audace ; c’est une manie destructive, qui fait un désert du brillant spectacle du monde, & qui avoisine beaucoup la démence.

Oui, l’orgueil de réformer les opinions vulgaires, de paroître n’avoir rien de commun avec les pensées les plus reçues, a donné naissance à l’athéisme, d’autant plus que ce cruel systême a une fausse apparence d’élévation, de grandeur. C’est un coup téméraire de l’imagination hautaine de quelques hommes qui ont mis dans leurs bouches, dans leurs écrits, ce qui n’étoit peut-être pas bien imprimé dans leur conscience. Ne croyez pas qu’ils aient digéré leurs idées licencieuses ; ils se sont étourdis pour étourdir les autres ; ils veulent paroître plus orgueilleux, plus insensés qu’ils ne le sont en effet. Au reste, le plus hardi ne sauroit franchir le doute ; & quand il dit je nie, cela veut dire je doute.

Avouons en même tems que l’esprit de parti s’est servi trop fréquemment du terme d’athée pour frapper tout adversaire & lui faire une blessure profonde. Le Janséniste appelle le Moliniste athée ; celui-ci le lui rend bien, & tous les deux crient à l’athéisme contre le philosophe.

Qu’un homme dans sa maison mette son pot au feu le vendredi, la dévote, en mangeant son brochet, décide qu’il est athée. C’est un reproche mutuel que la haine, & non l’amour de Dieu, enfante. Un habitué de paroisse appelle athée quiconque écrit une brochure. Tous les prétendus vengeurs de la religion ont voulu faire passer pour athées des hommes dont les écrits respirent la morale la plus saine & la plus intéressante. Cette accusation portoit autrefois des coups terribles, mais trop prodiguée, elle se détruit d’elle-même.

L’athée par systême est un être dangereux ; & l’homme le plus éclairé doit penser comme le peuple, qui juge par instinct que le plus ferme appui de la morale sera toujours dans la connoissance du grand Être qui scrute le fond des cœurs ; tandis que celui que n’environne pas cette majestueuse idée, est nécessairement plus près qu’un autre de tromper son semblable, de ne contraindre aucune de ses passions & d’immoler tout à lui-même.

Après y avoir long-tems réfléchi, j’affirmerai que j’aime encore mieux le fanatique que l’athée endurci dans son malheureux systême : par la même raison que je préférerois de me voir enfermé avec un furieux plutôt qu’avec un cadavre.