CHAPITRE DLXXXVI.

Égouts publics.


La magnificence romaine s’imprima surtout dans ces utiles établissemens, nécessaires à la santé, à la vie des citoyens. Des édiles étoient principalement chargés de leur entretien, & punissoient tous ceux qui avoient commis quelques fautes à cet égard.

Il fut construit à Paris un grand égout, appellé l’égout Turgot, parce qu’il fut ordonné dans le tems qu’il était prévôt des marchands.

Ce grand égout commence au bas de Menil-Montant, parcourt de là du côté du nord presque la moitié du circuit de la ville de Paris. Un grand nombre des égouts particuliers des rues versent dans ce grand égout, dont l’embouchure est dans la riviere de Seine, à l’une des grilles de Chaillot.

Cet égout assez vaste & profond n’étoit point couvert ; les ouvriers pouvoient y travailler avec beaucoup de facilité pour le réparer. On le lavoit à l’aide d’un réservoir & d’une pompe. Quelques muids d’eau suffisoient pour entraîner les immondices.

Il a plu au corps de ville de vendre le terrein de cet égout ; on l’a couvert, on a permis de bâtir dessus, avec la précaution de défendre d’en faire la décharge des cuisines & des latrines ; précaution inutile sans doute, par la facilité de s’en affranchir. C’étoit visiblement enfermer des foyers pestilentiels.

Dès 1778, on s’apperçut dans le fauxbourg Saint-Honoré qu’une odeur putride se répandoit & incommodoit beaucoup les voisins, de quelques-unes des ouvertures pratiquées près le Colisée, pour recevoir dans cet égout les eaux de pluie. Quelques citoyens de ce fauxbourg, peu instruits, attribuerent cette odeur à la piece d’eau du Colisée. La véritable cause de l’odeur infecte répandue dans le fauxbourg, vient de ce que les égouts des cuisines & les sieges des latrines versent incessamment dans ce grand égout ; abus inconcevable. Ce grand égout, dans l’état où il est, ne sera jamais nettoyé. S’il vient à s’engorger, aucun ouvrier ne pourra essayer d’y entrer ; il y perdroit la vie. Quel sera le remede assez prompt, assez efficace, pour détruire ou pour clorre ces abymes de putridité ? Il n’y en a plus ; la moindre ouverture forme un éolipile dangereux ; l’air & les rayons du soleil absorboient du moins auparavant ces terribles exhalaisons. Ainsi l’intérêt de quelques particuliers a emprisonné la peste dans un quartier salubre. Puisse-t-elle ne pas s’échapper ! ou recourons du moins aux chymistes modernes, qui se jouent de tous les miasmes meurtriers, & qui offrent de descendre dans les latrines avec la même confiance qu’un danseur de la foire voltige sur la corde lâche ou tendue.