CHAPITRE DLXXXIV.

Francs-Maçons.


Les francs-maçons ne sont point persécutés à Paris ; on leur laisse tenir loge tant qu’ils veulent ; loge d’adoption, ou loge à femme. Ils n’ont pas rencontré un marquis Tascani, Florentin, qui, sous l’autorité de Sa Majesté Catholique, a poursuivi avec la plus grande rigueur une société qui s’est fait une loi de ne parler jamais ni de religion ni d’affaires d’état.

Les loges de francs-maçons s’ouvrent, & l’on n’a point emprisonné les freres ; on ne les a point mis au secret de justice comme à Naples. Les francs-maçons mangent, boivent ensemble, font de la musique, lisent des vers ou de la prose, sans qu’aucun ministre soit tenté d’imiter la bizarre administration du Florentin, qui probablement voulant perdre quelques jeunes seigneurs maçons, qui approchoient du roi, enveloppa dans la proscription toute la société. On a dû bien rire de la fougue du Florentin, lorsqu’il fut renvoyé, & que cette grave affaire se fut tournée en plaisanterie ; car c’est ainsi qu’elle devoit finir.

Les francs-maçons rigoureux trouvent un si grand relâchement dans les assemblées maçoniques qui se tiennent à Paris, qu’ils regardent tous les francs-maçons de la capitale comme des profanes qui s’occupent d’enfantillages. Ils ont tort.

Les fendeurs, les dévorans, les gavots sont presque inconnus, parce que ces sociétés fondées par la nécessité & le besoin, & qui se rendent, dans les forêts ou dans les lieux déserts, des services importans, ont dû se fondre dans un tourbillon où l’on ne cherche que la distraction, l’amusement, le goût du plaisir. Voilà le seul nœud de ces petites associations qui, n’ayant point l’esprit de parti, sont fort éloignées de tout fanatisme ; & il n’y a que le fanatisme, comme l’on fait, qui fasse les bandes, les sectes, & les bonnes confréries.

Aussi la police laisse-t-elle en repos toutes ces assemblées nouvelles, qui, loin de l’inquiéter, ne lui déplaisent pas ; & les hommes qui ont le besoin & le plaisir de se rassembler, s’embarrassent peu du signe qui les réunit, pourvu qu’ils s’assemblent.

La loge des neufs sœurs s’est distinguée par des fêtes brillantes qu’on pouvoit regarder encore comme des séances académiques. Le charme de la littérature en faisoit le principal agrément. On a vu tous les hommes célebres & contemporains fraterniser dans cette loge, malgré la différence de leur art. Ce rapprochement unique avoit un intérêt qui prêtoit à la réflexion. Plusieurs loges joignent à leurs travaux la pratique assidue de la bienfaisance ; & on a honoré publiquement une pauvre fruitiere qui, ayant onze enfans, en avoit adopté un douzieme avec le sentiment de la tendresse & le courage de la charité. Cette récompense de la vertu sans faste a été imaginée par des francs-maçons ; ils s’amusent, & ils sont charitables.