CHAPITRE DLXVI.

Ventes par arrêts de la Cour. Encan.


La plupart de ces ventes sont simulées. Un marchand voudra vuider son magasin d’un seul coup ; son confrere établira contre lui une procédure qui aboutira à la saisie, & les effets seront vendus avec toutes les formalités.

Ce n’est qu’un jeu. Le marchand, maître de retirer sous main, ne laissera adjuger les effets que lorsque les acheteurs seront tombés dans le panneau. Il y aura une ligue dans l’assemblée ; on s’écriera de tous côtés, c’est pour rien ! Et le public croyant avoir grand marché, parce que c’est une vente autorisée, sera dupé dans tous ses achats. Il aura acquis tout ce qu’il y a de défectueux dans le magasin du marchand.

Ces ventes portent un grand préjudice au commerce, répandent une grande quantité de mauvais effets, & privent les bons de leur valeur réelle.

Ces ventes trop multipliées jettent dans le peuple un esprit brocanteur, qui le détermine à la ruse & à une artificieuse cupidité.

Il y a ensuite dans ces ventes une confédération secrete dont on doit perpétuellement se défier : elle s’appelle la grafinade. C’est une compagnie de marchands qui n’enchérissent point les uns sur les autres dans les ventes, parce que tous ceux qui sont présens à l’achat y ont part ; mais quand ils voient un particulier qui a envie d’un objet, ils en haussent le prix, & supportent la perte qui, considérable pour une seule personne, devient légere dès qu’elle se répartit sur tous les membres de la ligue.

Ces marchands égrefins se rendent donc maîtres des prix, parce qu’ils font en sorte qu’aucun acheteur n’aille au-dessus de celui qu’un membre de la grafinade aura offert.

Quand un objet a été poussé assez haut, pour écarter du bénéfice tous ceux qui ne sont pas de la clique, alors dans une assemblée particuliere ils adjugent l’effet entr’eux.

Il y a de ces ligues pour le bijou, le diamant, l’horlogerie : elles empêchent le public de profiter du bon marché ; elles agissent sous l’œil des magistrats instruits de ces subterfuges & qui ne peuvent rompre les complots de cette phalange armée & invincible ; car tout se passe au nom de la loi, & ce n’est que derriere le rideau que cette bande, en partageant le bénéfice, se vantera d’avoir mis en défaut la défiance du public & la vigilance de la magistrature.

Voilà pourquoi tel homme inexpérimenté s’étonne de trouver tel objet si cher dans les ventes. La grafinade veut qu’il n’y remette plus le pied, afin que les marchandises tombent au bas prix auquel elle prétend les acquérir.

Cette conspiration contre la bourse des gens chasse de la salle des ventes un nombre infini d’acheteurs, qui aiment mieux être rançonnés par un membre de la grafinade, que par la grafinade entiere, qui, selon l’expression populaire, a les reins forts, & joûte de maniere à écarter les plus intrépides.

Les crieuses de vieux chapeaux, les revendeuses imitent parfaitement sur ce point les lapidaires, les orfevres & les marchands de tableaux.

Nos seigneurs, sous le nom de curieux, sont des brocanteurs magnifiques, qui achetent sans besoin, sans passion, & seulement pour avoir de bons marchés, bijoux, chevaux, tableaux, estampes, antiques, &c. Ils font des haras ou des cabinets, qui sont bientôt des magasins. On les croiroit passionnés pour les beaux-arts ; ils aiment l’argent.

Ces vases, ces bronzes, ces chefs-d’œuvres auxquels ils semblent tenir, & dont ils se montrent idolâtres, appartiennent à qui voudra les en débarrasser pour de l’or. La médaille la plus antique ne restera pas au médaillier. Malgré tout l’étalage du propriétaire, on en fera la conquête. Ces brocanteurs décorés usurpent ainsi les profits des classes commerçantes ; ils vous diront néanmoins qu’ils n’achetent que pour les artistes, tandis qu’ils en sont les tyrans.

Au reste, c’est aux ventes que le prix réel des tableaux se manifeste, & qu’ils n’en imposent plus, comme dans le sallon de l’orgueilleux possesseur. Là finit le rôle avantageux de l’homme usurpateur & médiocre : là les prétendus connoisseurs voient leur prononcé chimérique réduit à zéro : là, la superbe école françoise apprend à rabattre de sa fastueuse présomption. Un peintre a beau s’appeller premier peintre du roi, on donne pour dix écus (c’est-à-dire pour la toile) une de ses compositions de quatre pieds de hauteur. L’huissier-priseur ne lui fait pas grace, & le livre impitoyablement à l’acheteur, qui va en décorer une anti-chambre enfumée, ou une salle à manger.

Philippe, duc d’Orléans, régent du royaume, s’amusoit à peindre ; mais la main de Son Altesse, habile à mouvoir l’Europe, ne surpassoit pas en peinture celle du plus misérable barbouilleur. Qu’est-il arrivé ? Son principal tableau, (quoique décoré de son nom) successivement chassé de tous les cabinets, se trouve actuellement exposé dans un passage public des Tuileries, sollicitant en vain un acquéreur qui lui donne un asyle. On le regarde, on lit le nom auguste, on sourit, & personne ne veut en donner trente-six livres. Ce qui prouve que dans les arts qui tiennent au génie, on ne paie point le public avec des titres.