CHAPITRE DLIX.

Portrait d’une Abbesse.


Toutes les passions se sont calcinées dans son sein, & il en est résulté une masse froide & insensible. La succulence des alimens a énervé son ame & enveloppé toute sa sensibilité. Elle ne sent point les peines de celles qui souffrent sous sa regle. Le calme de la froideur s’est étendu sur sa ronde face unie ; elle est devenue lisse & dure comme le bois qui forme le tour du couvent. Elle commande, elle tourmente, voilà sa grandeur & sa volupté.

Le grade où elle est parvenue ne fera qu’ajouter à cette pétrification morale, qui lui donne l’air du repos, & peut-être enfin le repos même.

Quant à celle chez qui l’embonpoint n’a point étouffé les passions actives, elle est maigre & jaune ; le feu sombre de ses regards annonce que du fond de son cloître elle voudroit tout remuer & tout agiter dans le monde. Elle s’y promene sans cesse ; elle fait transpirer au-dehors toutes les petites tracasseries, afin que le monde revienne à elle ; & avec les mots d’ordre, de religion & de zele, les prélats sont forcés d’abaisser leurs regards sur les murailles qu’elle habite. L’affaire dont elle se mêle devient tout-à-coup embrouillée, & il ne faut qu’une heure de conversation avec elle, pour avoir des soupçons injurieux sur les actions des hommes que l’on estime le plus.

Voilà ce que fait la profonde retraite. Toutes les passions s’y corrompent ; l’orgueil y prend un caractere encore plus dur. Point de milieu dans ces murs solitaires ; c’est là que l’ame s’anéantit, ou qu’elle monte au plus haut degré de perversité.