CHAPITRE CCCCLXVI.

Accouchée.


Étendue, à demi-couchée sur une chaise longue, enveloppée dans le plus beau linge, elle se perd dans une infinité d’oreillers grands & petits. On ne voit que dentelles artistement plissées & de grosses touffes de rubans. Elle attend sur ce trône les visites de tout le monde ; elle a tout préparé pour qu’on admire jusqu’à son couvre-pied.

Une garde se tient assise près de la porte & flaire tous ceux qui arrivent. Elle répete incessamment, n’avez-vous point d’odeurs ? Une femme de qualité s’écrie en passant, non, je dois sentir la graisse. Elle entre, une athmosphere de parfums l’environne & remplit toute la chambre.

Il est dit qu’on ne doit pas parler à l’accouchée ; mais l’intérêt qu’on prend aux douleurs qu’elle a souffertes est si grand, qu’on ne peut s’empêcher de lui dire qu’on n’en a pas dormi toute la nuit. Ce compliment est renouvellé par toutes les femmes qui arrivent. Après qu’on a loué le courage de l’accouchée, on fait l’éloge de ses dentelles, & de la façon dont elle est mise. On dit à chaque instant, parlons bas ; celle qui vient de donner le conseil, est la premiere à élever la voix fort haut.

Les hommes n’entroient pas autrefois ; aujourd’hui ils sont du cercle ; ce n’est que dans ces circonstances que les hommes disent encore des douceurs. L’accouchée reçoit mille complimens sur son teint, dont les roses n’ont fait que pâlir. Sa langueur la rend plus belle ; mais quand le mari vient à entrer, il sourit d’une façon si particuliere, il a un air toujours si étrange, que malgré toutes les minauderies de l’accouchée, il ne sauroit soutenir les regards de l’assemblée, & s’y dérobe promptement.

Chaque fois que l’accouchée porte la main à son front, une femme décampe. Chacun défile pour attraper encore quelques fragmens de l’opéra, & l’on se plaint dehors d’être victime des bienséances.

Il manque à l’accouchée de la capitale le charme le plus intéressant & qui donneroit à son état un air plus respectable : l’enfant dans son berceau & attendant du sein maternel sa premiere nourriture. Pendant un tems, les femmes ont nourri elles-mêmes ; mais ce n’étoit qu’une mode, elle a passé. La vie de Paris sera toujours un obstacle à l’accomplissement de ce devoir sacré. J’ai remarqué que personne n’osoit parler du nouveau né ni au pere ni à la mere.

Quand une femme se porteroit assez bien pour être relevée de couches au bout du douzieme jour, elle attendroit jusqu’au vingt-unieme pour reparoître. Jusqu’alors elle doit, quand il entre quelqu’un, retomber sur sa chaise longue, jouer la langueur & l’abattement, recevoir trente visites, au lieu de se promener dans un jardin, & d’y jouir des douces influences de l’air.

Il est encore dit aujourd’hui, qu’une femme malade doit recevoir du monde jusqu’au moment qu’elle expire. On ne laisse entrer, il est vrai, que les amis de la malade ; mais elle en a tant que l’appartement est toujours plein.

Le protocole d’un mourant est de n’être jamais seul ; & c’est un devoir d’étiquette, que d’aller chez lui en foule.

Il faut être entouré de parens & d’amis, dans toutes les crises d’une fievre ; on vient jusques sous vos rideaux. Il faut que les têtes soient devenues beaucoup plus fortes, puisqu’autrefois nos peres, lorsqu’ils étoient malades, se trouvoient incommodés seulement par le mouvement indispensable du service.

Ceux qui ne visitent pas, envoient deux fois par jour demander des nouvelles, & surtout le nom du médecin. Il devient un pronostic, & les gens du monde savent combien de jours une duchesse pourra résister sous les ordonnances de tel docteur. Il est des maladies où le médecin expédie son malade infailliblement ; & le cocher lui même sait qu’au bout de huit jours il n’aura plus besoin d’arrêter les chevaux à la porte de l’hôtel : aussi s’informe-t-il du genre de la maladie. Alors il secoue la tête & prédit l’événement.