CHAPITRE CCCCLXV.

Ânon.


Après avoir parlé de la mere, parlons du fils. Mon pinceau n’a point d’orgueil ; il veut crayonner aussi le frere de lait du jeune seigneur. M. de Buffon dit qu’il est joli ; mais l’a-t-il vu comme moi, lorsqu’il porte, mieux que des reliques, des paniers remplis de fleurs, lorsqu’il est conduit par une fraîche jardiniere, se promenant avec lui aux premiers jours du printems ? L’attirail forme un grouppe qui plaît à l’œil ; le gentil animal passe auprès du cheval preste par le fouet & mordant son frein. Il devance la pauvre haridelle écorchée & défigurée qui traîne le fiacre ; il rencontre le chien crotté, le bœuf qui va se faire assommer : mais pour lui, propre & svelte, sans crainte du boucher, averti par la baguette & non frappé, il réjouit la vue & l’odorat. Leste comme sa conductrice, il a marché sur le pavé fangeux plus légérement encore que le petit-maître en équilibre ; aucune tache ne défigure son sabot. Il dépose aux portes les fleurs dont il est paré plutôt que chargé, & revole ensuite à la campagne. Le plus fortuné Parisien n’y va que le samedi au soir ; mais lui, il ne couche jamais à la ville ; il part avec l’aurore qui l’égaie. Quand le soleil se couche, il a déjà pâturé abondamment autour de la cabane champêtre, & il s’endort, comme la jardiniere aux joues de roses, sans trouble & sans souci, après avoir été flatté de sa belle main.

La course sur le dos des ânes a eu son tems. Les princesses montoient le paisible animal que Buffon s’est plu à venger de nos dédains. Il ne soupçonnoit pas l’honneur qu’on lui faisoit ; il n’étoit pas plus enorgueilli de porter une reine qu’une vendeuse de fleurs ; il ne sentoit pas la différence qu’il y a entre une majesté & une villageoise : c’étoit toujours une cuisse féminine qui pressoit doucement ses flancs. Une foule de plaisanteries naquirent de ces cavalcades, & quand la matiere fut épuisée, les courses de cette espece prirent fin. Il en est ainsi de tous les plaisirs de ce monde ; les plus vifs deviennent enfin les plus fastidieux : sans quelques couplets de chanson que la mémoire se rappelle, le triomphe des ânes à la cour de France seroit déjà tombé dans l’oubli.