CHAPITRE CCCVIII.

Tableaux, Dessins, Estampes, &c.


La manie coûteuse & insensée des tableaux & des dessins que l’on achete à des prix foux, est bien inconcevable. Il n’y a point de luxe, après celui des diamans & des porcelaines, plus petit & plus déraisonnable : non qu’un tableau ne vaille son prix ; mais parce qu’il est bizarre, ridicule, indécent de couvrir d’or, des peintures dont l’utilité & la jouissance sont également bornées.

Que des princes forment des cabinets, ils se doivent à tous les arts. Mais qu’un particulier entreprenne une collection toujours incomplete, ces dépenses énormes l’empêcheront, à coup sûr, d’être un bon parent, un bon ami, un obligeant citoyen : il n’aura plus d’argent que pour des toiles peintes. Plus il possédera, plus il voudra encore posséder : sa maison, sa famille, tout ce qui l’environne, se sentira des prodigieux sacrifices qu’il offrira sans cesse à une manie dont la nature est de ne jamais contenter celui qu’elle tourmente.

Les méprises étant faciles & les erreurs ordinaires, nouvelle source de chagrins & de contrariétés : l’entêtement prend la place du goût, & la fureur de la possession empêche la paisible jouissance.

Je n’ai jamais pu concevoir comment on ne se contentoit pas d’une belle copie au défaut de l’original. Souvent l’œil le plus exercé hésite entre les deux peintures ; & quand on pourroit avoir par ce moyen trente beaux tableaux pour le prix qu’on met à un seul, comment se ruine-t-on pour un tableau unique ?

Tel homme a vendu ses maisons & ses terres, pour faire une collection d’estampes renfermées dans des porte-feuilles invisibles, & qu’il n’ouvre pas quatre fois l’année. Il se traîne encore aux ventes ; crie à l’huissier, d’une voix éteinte, un sol ; dit tout haut qu’il est un fou, emporte l’objet, & il lui faut de fortes lunettes pour contempler son acquisition. À sa mort, tout cela sera dispersé en différentes mains, & l’œuvre tant poursuivie ne sera jamais complete.

Un vieux tableau à moitié peint & effacé, dont on ne distingue plus rien, sera préféré, parce qu’il est original, à un tableau moderne & intéressant, dont la couleur est fraîche & agréable. Quel est donc le défaut de ce dernier ? Le peintre est vivant.

Il faut que les particuliers laissent aux princes ou aux grands, dont l’opulence est excessive, le privilege de mettre de grosses sommes en tableaux & en statues. C’est une folie de consumer son patrimoine en curiosités ; c’est un vice d’oublier ses parens & ses amis pour des peintures ou des gravures. Ces arts sont faits pour figurer dans des sallons publics, & non dans des cabinets. L’amateur immodéré n’est qu’un maniaque.

On n’a point encore ridiculisé sur notre scene cette folie ruineuse : elle mériteroit bien les pinceaux d’un auteur comique.