CHAPITRE CCCV.

Les Visites.


Les visites emportent beaucoup de tems. Vainement se fait-on écrire chez les portiers : on est condamné, à certaines époques, à aller d’hôtel en hôtel faire la révérence, s’asseoir, dire quelques mots insignifians ; puis on s’échappe pour faire la même chose dans la maison voisine. C’est un travail & une occupation que de sortir ainsi d’un hôtel pour entrer dans un autre.

Ceux qui ont besoin de protection, ne visitent les grands qu’à leur corps défendant. Le devoir, l’orgueil, ou la cupidité les traîne à travers les anti-chambres ; ils souffrent, murmurent tout bas & subissent la loi commune. Un valet qui doit avoir bonne mémoire, annonce à haute voix ceux qui entrent ; coutume prudente. On ouvre les deux battans pour les femmes ; c’est alors que les qualités sonnent agréablement à l’oreille de l’individu qui se présente dans le cercle : un nom tout nu a quelque chose de honteux.

On a beaucoup abrégé les formules des premiers complimens. On s’assied, si l’on veut, sans presque rien dire. L’arrivante occupe le fauteuil le plus proche de la maîtresse de la maison, le cede à son tour, & ainsi successivement. Les femmes s’examinent des pieds à la tête, tout en se faisant des mines. C’est le moment où les nouvelles circulent ; de sorte qu’un fait arrivé à huit heures du soir est su de tout Paris à dix heures. Le commentaire & les bons mots qui font arrêt, l’accompagnent déjà, & il ne sera plus permis d’en parler le lendemain.

Après les nouvelles, vient l’étalage de chaque doctrine particuliere ; mais le récit est court, excepté dans la bouche des officiers de marine[1], qui abusent des circonstances pour tenir école publique de pilotage. Les femmes dissimulent leur ennui, & font glisser adroitement la conversation sur le nouvel opéra ; on descend de la vergue du grand mât aux bassons de l’orchestre, & l’on parle d’une tempête harmonique. Au moment que j’écris, les disputes sur la musique & sur la marine sont éternelles. Et pourquoi durent-elles si long-tems ? C’est qu’on ne s’entend pas.

Les parleurs de profession ont un répertoire tout formé, qui compose tout leur esprit. Ils n’ont pas l’attention de le varier ; & il y a beaucoup de gens qui vous étonnent, mais pour une seule fois. J’y ai été pris comme bien d’autres.

  1. Tous les officiers de terre & de mer ont-ils la connoissance du style de Turenne ? Le voici après le gain d’une bataille importante : Les ennemis sont venus nous attaquer, nous les avons battus ! Dieu en soit loué ! J’ai eu un peu de peine. Je vous souhaite le bonsoir : je me mets dans mon lit.