CHAPITRE CCXCI.

L’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres.


Là, l’antiquaire sourit d’un poëte moderne qui ne s’appelle pas Homere ou Euripide. Aristote l’emporte encore sur Descartes & Newton : plus les idées sont anciennes, mieux elles valent : le siecle des Médicis n’y a pas encore droit de bourgeoise.

Tel érudit ne daigne pas appercevoir la colonnade du Louvre, pour parler d’un vieux temple de Cérès, dont il restitue l’entablement, l’architrave, &c. Si l’on perd une bataille, c’est que l’on a oublié la force de la phalange Macédonienne.

Apelle & Zeuxis étoient les premiers peintres de l’univers ; car leurs tableaux, à force de vétusté, n’existent plus.

Si nous faisons quelque chose de passable, c’est par pure réminiscence : les anciens avoient tout dit, tout vu, tout deviné ; nous les répétons à notre insu, & par un effet de la métempsycose ; car nous sommes une race abâtardie, dégénérée pour les arts : vivent les Grecs.

Notre langue ne vaut pas l’hébreu, qui est une langue sacrée : nous ne commencerons à valoir quelque chose que dans quatre mille ans.

Tous ces contempteurs des tems modernes écrivent des in-4o. sur les anciens ; c’est aux anciens à les lire. Ils traduisent les anciens, & ces anciens-là, sous leur plume, paroissent bien sots & bien vuides. Ils mettent tout Homere en rimes plates, pour en rendre la lecture à jamais impossible, & pour l’admirer sans doute tout seuls. D’autres font de mauvaise prose, pour nous faire détester notre idiôme, & pouvoir crier plus haut encore : vivent les Grecs ! Cela est adroit.

Spanheim s’extasioit de volupté sur une médaille antique : il est bon de regarder une médaille une fois, mais c’est assez. Si c’est à raison d’antiquité, tel rocher est plus vieux que l’alphabet phénicien, transmis ou non transmis aux Grecs. Tel homme de lettres est curieux ; c’est bien fait à lui, & cela l’amuse : mais tel autre ne voit pas sur une médaille la raison d’une excessive volupté[1].

Les membres de ce corps se nomment académiciens ; mais ce titre est une très-foible distinction à Paris, & l’on ne sait trop pourquoi : c’est qu’il faut être de l’académie françoise pour être un véritable académicien.

D’où vient cette différence entre voisins qui ne sont séparés au Louvre que par une cloison ? Il y a bien autant de préjugés, autant de prétentions d’un côté que de l’autre : plusieurs membres passent même d’une chambre pour aller dans la chambre voisine ; ils devroient donc être rangés sur la même ligne ; on fait des vers & de la prose d’un côté & de l’autre.

Le public, ou plutôt l’opinion, a mis entre ces deux corps un grand intervalle. Il seroit facile néanmoins d’opposer l’académie des belles-lettres à l’académie françoise, si la premiere vouloit s’humaniser un peu avec les belles-lettres, puisqu’elle en porte le nom, goûter de la littérature moderne, réciter quelques vers françois, & ne point faire de divorce avec le bel-esprit. Alors tous ces antiquaires passeroient pour des gens de lettres, & l’on s’accoutumeroit à dire d’eux, qu’ils ont de l’esprit ; le goût prendroit peut-être ensuite, & les quarante seroient dépossédés du privilege exclusif à la réputation & à l’immortalité.

Que cela arrive ou non, je dirai toujours à l’académie françoise :

Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.

Cette académie ne veut plus, dit-on, que ses membres passent déformais à l’académie françoise, parce que c’est trop de gloire pour un simple mortel, que de réunir sur sa tête les titres opposés de savant & de bel-esprit ; il faudra opter, & l’on ne pourra plus servir à la fois les deux maîtresses jalouses & rivales. Point d’accord entre l’érudition & les graces.

  1. Le facétieux Piron a fait une épitaphe assez plaisante d’un de ces investigateurs du tems passé. Elle est peu connue :

    Ci gît un antiquaire opiniâtre & brusque.
    Il est esprit & corps dans une cruche étrusque.