CHAPITRE CCXC.

Sur le mot Goût.


Un théologien s’échauffe, devient fanatique & déraisonne au mot grace, & tel académicien au mot goût. Le dernier voudra vous subjuguer, tout comme le premier prendra le ton dogmatique, & ils ne demeureront pas inférieurs l’un à l’autre en invectives. Comment après cela ne pas convenir que chacun a sa marotte ? Et l’académicien se moquera du théologien, quand il a, comme celui-ci, la prétention bizarre de se croire infaillible.

Comme on détruit tout le mérite de l’action la plus excellente & la plus pure, en lui prêtant de vicieuses intentions, de même on anéantit un bel ouvrage avec une critique froide & minutieuse. Ceci est encore le passe-tems d’un académicien ou jaloux, oui chagrin, ou voulant trancher du docteur.

Tel académicien dit, j'ai du goût, parce qu’il n’ose pas dire, j'ai du génie. Il sent bien que tout le monde sait ce que c’est que le génie, parce qu’il est aisé de le reconnoître ; il voit donc qu’il ne peut en imposer là-dessus, & il se renferme dans le titre d’homme de goût, parce qu’il est aussi difficile de le lui contester, que peu important de le lui accorder.

Quand il a obtenu ce titre, il s’imagine alors que ses ouvrages sont pénétrés de goût : ce qui n’est pas ; car tel a du goût pour apprécier les productions d’autrui, & n’en a pas pour ce qu’il fait.