CHAPITRE CCLXXX.

Dépôts ou Renfermeries.


Prisons de nouvelle institution, imaginées pour débarrasser promptement les rues & les chemins de mendians, afin que l’on ne voie plus la misere suppliante à côté du faste insolent.

On les plonge avec la derniere inhumanité dans des demeures fétides & ténébreuses, où on les laisse livrés à eux-mêmes. L’inaction, la mauvaise nourriture, l’abandon où ils sont, l’entassement des compagnons de leur misere ne tardent pas à les taire disparoître l’un après l’autre.

Ces dépôts (de quelque prétexte que l’on veuille les colorer) offensent à la fois l’équité naturelle, les loix civiles, la saine politique, la religion & l’humanité. Il faut que l’on soit bien peu fécond en ressources & en moyens, pour dévouer à une mort lente tant d’infortunés, au lieu de savoir les employer, après leur avoir ôté leur liberté. Aucun pouvoir humain n’a le droit d’enfermer un mendiant, s’il ne lui offre sur-le-champ un genre d’occupation qui exerce ses bras, sans l’atterrer.

Ces oppressions condamnables & qui n’admettent aucune excuse, contristent l’ame la moins sensible, & l’on pourroit rapporter ici des faits capables d’affliger les cœurs les plus indifférens : mais il nous suffit d’avoir dénoncé ces horreurs trop bien constatées aux hommes équitables & puissans. Il est même impossible qu’elles ne prennent pas fin sous un gouvernement fort distrait, il est vrai, mais d’ailleurs doux & humain. Il sentira qu’on ne doit pas traiter ainsi les pauvres qui n’ont commis aucun crime ; & que ce n’étoit pas la peine de les ravir à une oisiveté volontaire ou forcée, pour leur imposer cette même oisiveté devenue un supplice, & le désespoir & la mort qui s’ensuivent.

Quand un ministre fait arrêter un homme avec une lettre de cachet ou par un ordre verbal, & que pour des raisons à lui connues il ne le fait pas conduire à la Bastille, on l’enferme au Châtelet ; & là, l’homme-victime reste en dépôt. C’est une expression toute nouvelle, qui s’applique à une vexation aussi nouvelle. Il faut bien apprendre aux étrangers toute la richesse de notre langue. Ainsi le mot dépôt a plusieurs significations : c. q. f. d.

Une lettre de cachet enleve, transporte un homme dans un cachot, & l’y laisse pourrir le reste de ses jours ; mais cette même lettre de cachet est impuissante à saisir ses biens & à l’en priver. Les biens de l’emprisonné reviendront à ses héritiers naturels ; ainsi l’argent parmi nous est beaucoup plus sacré que la liberté personnelle.