CHAPITRE CCLXXII.

Loterie royale de France.


Autre source de grands maux, & nouvellement ouverte. C’est un fléau qui ne se renouvelle pas moins de deux fois par mois. Cette loterie, fatale dans tous les sens possibles, est une véritable contagion qui nous est arrivée d’Italie. Elle fut condamnée d’abord à Rome, sous peine de bannissement : pourquoi faut-il qu’elle se soit répandue dans presque toutes les grandes villes de l’Europe ? Paris avoit assez de maux intestins à combattre, sans celui-là.

Les entrepreneurs savent très-bien que leur gain est immense & infaillible ; que le nombre des perdans doit surpasser de beaucoup ceux qui gagnent ; que presque toutes les chances sont à leur avantage ; qu’il n’y a aucune proportion entre la mise & le lot ; & ils font jouer au pauvre peuple, deux fois par mois, le jeu le plus insensé & le plus dévorant. Le stupide vulgaire se flatte d’attraper un quaterne ou un quine.

Les suites funestes de cette cruelle loterie sont incalculables. L’illusion fait porter aux cent douze bureaux l’argent réservé à des devoirs essentiels. Les domestiques, incités par un appât dangereux, trompent & volent leurs maîtres. Les parens aveuglés par leur tendresse, croient doubler leur fortune, & la perdent entierement. Les commis, les caissiers hasardent leur dépôt, & se donnent ensuite la mort par désespoir. Plusieurs maisons sont tombées par ce jeu ruineux. Une certaine ivresse s’empare de tous les infortunés, & ils perdent le dernier soutien de leur vie défaillante. On est pleinement instruit de toutes ces scenes tragiques, désastreuses & presque journalieres ; & malgré toute l’évidence du danger & toute la force du sentiment, qui fait voir cette loterie comme vexatoire, on en laisse subsister les funestes opérations, tant on a soif d’argent, tant on fait peu de cas des mœurs & de la tranquillité des familles !

Ces conquêtes odieuses de l’état sur les citoyens, & des citoyens sur leurs freres, sont-elles dignes de la mere-patrie, & la société devroit-elle immoler ainsi ses enfans, leur tendre des pieges, & appeller d’inévitables désordres, en agitant périodiquement toutes ces roues de fortune ?

On parle de décorer la ville, de bâtir des édifices ; l’aisance & les mœurs en sont le plus bel ornement, disoit Zénon. La Divinité ne manque ni de temples ni d’autels ; mais ce qui doit sur-tout réjouir ses regards, c’est la subsistance aisée & journaliere d’un peuple heureux & content. La prudence en politique est l’œil des autres vertus.

Extrait, ambe, terne, quaterne, quine, mots ci-devant inconnus au peuple, quels désastres ne lui avez-vous pas déjà causés ! Quel argent ne lui avez-vous pas enlevé furtivement ! Helas ! il ignore que cette loterie est toute à l’avantage des banquiers, & il passe sa vie à combiner des numéros. La crainte & l’espérance le rendent superstitieux & hébété, & ne sachant pas même calculer, il reste dans la plus grossiere illusion. Son ignorance à cet égard devroit être sa sauve-garde.

Le roi de Prusse, sage législateur, a banni les loteries de Berlin & de ses états : ce grand exemple, donné par une tête forte & habile à gouverner, dit plus que tous les raisonnemens ; & sa longue expérience dépose contre ces jeux qui dessechent les forces vitales d’un empire, en ôtant au peuple une partie de sa subsistance.