CHAPITRE CCLVII.

Aux Riches.


Usez, usez donc du moment qui vous reste, pour faire le bien ; tout va fuir bientôt de vos mains. Soyez charitables, pour ne point sentir l’inévitable remords qui vous attend, si vous endurcissez votre cœur. Entendez-vous les cris des nécessiteux ? Ils vous redemandent la portion que vous retenez sur leur subsistance, tandis que les excès vous tuent. Venez, approchez. Quel spectacle déplorable ! & si les maux vont toujours en croissant, quel sera donc le sort de cette ville ?

Ici, une malheureuse mere, impuissante à nourrir son fils à la mamelle, voit son sein épuisé tromper la bouche affamée de l’enfant chéri, dont la débile existence pese à celle qui lui a donné le jour, & qui ne peut retarder que de quelques instans la mort prête à l’enlever. Là, l’homme vieilli à cinquante ans sous le faix des travaux publics, n’a d’autre perspective que la consolation d’être reçu dans un hôpital pour y mourir. Ô vous ! qui nagez dans l’opulence, qui foulez ce même peuple sous les pieds de vos chevaux, tandis que votre regard encore plus cruel plonge sur lui avec dédain & orgueil, ne croyez pas que ses maux soient sans remedes : ne vous persuadez pas que le malheur soit l’inévitable partage de la plus nombreuse portion d’hommes. Voyez dans le bien commencé le bien qui reste à faire, & ne pensez pas que les moyens manquent pour secourir l’humanité souffrante.

Il est peu d’hommes qui, en donnant aux pauvres, n’ait réfléchi qu’il n’alloit pas assez loin, & que son superflu appartenoit de droit & en entier aux indigens. Mais on étouffe cette voix secrete, qui est autant le cri de la justice que celui de la pitié. On s’étourdit, on étend son nécessaire au-delà de ses vraies dimensions : on le sent, on cherche à se le cacher ; mais on s’avoue à soi-même qu’on n’a qu’une charité mesquine & imparfaite. Le trait de la vérité échappe à notre propre & secret aveu ; tant la conscience est un sentiment profond, durable, armé contre nous-mêmes ! On l’affoiblit, mais on ne l’éteint jamais.

Je laisse ceux qui me liront, sur cette réflexion, persuadé que, s’ils la négligent, elle s’élèvera un jour d’une maniere terrible contr’eux, & au moment où ils voudroient avoir accompli le bien qu’il sera trop tard de vouloir faire. Je les préviens qu’il n’y aura plus alors que l’idée consolante d’avoir été humains, secourables, qui applanira pour eux ce passage si redoutable pour quiconque n’a pas obéi à cette voix intime, notre premier & incorruptible juge.