CHAPITRE CCXX.

Charlatans.


On nomme ainsi ceux qui, montés sur des tréteaux, appellent les passans dans les places publiques. Le premier médecin du roi a chassé tous ces vendeurs d’orviétan, qui nuisoient aux intérêts de la compagnie fourrée. Il n’y en a plus haranguant le peuple, & c’est dommage ; car le docteur Socroton disoit à son éleve, en lui faisant l’énumération des avantages du charlatanisme : comptes-tu pour rien de voyager par-tout, de porter le sabre au côté, les pistolets à l’arçon, le bonnet fourré en tête, d’avoir un char qui, arrivé sur la place, se métamorphose tout-à-coup en théatre, avec la rapidité d’une décoration d’opéra ; & là, semblable aux orateurs Romains, de parler en public, haranguant tour-à-tour les nations, & parlant en liberté à un peuple serré & attentif ? Qui est-ce qui parle aujourd’hui au public ? Personne, mon ami, personne, excepté nous. Tu peux réussir par la parole, & aller plus loin que tu ne penses.

Plus de gros Thomas, plus de harangueur sous la voûte du ciel. Le premier médecin a détruit sans pitié ces derniers restes de liberté, & personne ne distribue plus ni opiates, ni élixirs, ni poudres. Le métier appartient en totalité aux suppôts de la faculté.

Les charlatans se sont réfugiés dans l’empire des sciences & de la littérature. L’un vous promet la découverte démontrée & la définition exacte d’un agent universel, qui a la propriété de modifier la matiere en tout sens, & d’opérer toutes les merveilles de la nature.

L’autre vous expliquera, d’une maniere claire & démonstrative, les causes de l’attraction, de la rotation des planetes sur leur axe, & de leur circonvolution autour du soleil.

Le troisieme vous donnera la théorie du soleil, celle des étoiles, des mondes, des planetes, des cometes, sur-tout de notre globe, & détrônera Newton pour son coup d’essai.

Un quatrieme, moins ambitieux, ne vous offre que le secret de la génération ; il vous dira, pour une souscription de trente-six livres, ce que c’est que l’économie animale ; il vous instruira par-dessus le marché du mécanisme des passions, & vous aurez la science universelle pour douze écus.

Rangeons dans cette classe ces naturalistes qui, en robe-de-chambre, en pantoufles & en bonnet de nuit, font des systêmes sur la formation des montagnes, qu’ils n’ont jamais vues ni parcourues ; qui, se chauffant à un bon feu, écrivent sur les glaciers de la Suisse. Ils n’ont examiné, ni les marbres ni les granits des Alpes, & ils prononcent sur ces grands objets en ordonnateurs des mondes, expliquant de dessus leur chaise la structure & les fondemens du globe ; tandis que leurs pieds n’ont jamais foulé ni un rocher élevé, ni un abyme un peu profond. Bientôt ils oseront dire, je vois distinctement le noyau de la terre, car il est transparent pour moi.

Rangeons encore dans la même classe ces académiciens beaux-esprits, qui n’ont rien écrit, dont les noms sont inconnus, qui courent les pensions, & qui se font payer pour des ouvrages qu’ils n’acheveront jamais : ils disent respecter le public, ce qui ressemble beaucoup au respect des impuissans pour les femmes.

Polydore porte le petit-collet, passe-port de l’impudence ; il veut se donner non-seulement un air d’érudition, mais de goût, mais de supériorité, mais de génie ; il parle avec emphase d’un auteur grec, il se récrie sur la beauté de l’expression, sur la finesse des tours. Les modernes n’ont pas l’ombre de cette physionomie. Le divin Pindare a le rithme qui communique avec les dieux, & le sublime Homere frappe merveilleusement l’anapeste. Quand il a prononcé ces grands mots devant des femmes & quelques financiers, il se recueille & se tait, comme si le génie le saisissoit tout-à-coup & l’accabloit de tout son poids. Ne diriez-vous pas que Polydore a étudié, médité l’auteur dont il a parlé, qu’il le possede parfaitement ? Soyez sûr néanmoins, qu’il n’en a lu que la traduction tout au plus, qu’il entend mal le texte, & que s’il l’a ouvert sur sa table, c’est pour en imposer aux sots ; & comment croit-il en imposer à d’autres ? On dit aux charlatans des places publiques, guérissez : on pourroit dire aux charlatans littéraires, plus nombreux que jamais, imprimez ; mais ils n’impriment pas.