CHAPITRE CXVII.

Avocats.


Lucien nous peint quelque part un homme qui va réciter sa cause à un avocat. Celui-ci écoute froidement ; il est d’abord incertain, chancelant, dans un état douteux, inhabile à se décider, à peu près comme l’âne de l’école. Vous croyez qu’il ne pourra sortir de cette indifférence où le tient un cas vraiment problématique. Le consultant tire une bourse, alors l’équilibre cesse dans l’entendement du patron ; il conçoit, il s’échauffe, il découvre de nouvelles lumieres ; sa volonté est toute entiere de votre bord. Il apperçoit une vérité incontestable, pour laquelle il va écrire six mois & s’enrhumer dix fois. Il épouse avec chaleur cette même cause qu’il ne voyoit qu’avec indifférence.

Tel est l’avocat de Paris. L’incertitude des loix l’a rendu pyrrhonien sur l’issue de tous les procès, & il entreprend tous ceux qui se présentent. Celui qui l’aborde le premier, détermine la série de ses raisonnemens, & commande à son éloquence.

Une légere teinte de pédantisme, toujours inséparable de la robe, le place entre l’homme de lettres & un professeur de l’université.

En général, tous les corps en France sont en-arriere de leur siecle. Le corps des avocats mérite plus que tout autre ce reproche : ils tiennent à des formules bizarres ; & ce corps qui se dit libre, est asservi à une foule de préjugés. Élevez quelques doutes sur l’infaillibilité du droit romain, & un torrent de paroles sans idées vont étouffer votre timide objection.

Les avocats de Paris sont ennemis nés des gens de lettres ; parce que ceux-ci, plus philosophes, remontent aux principes, tendent à simplifier toutes les questions, & que d’ailleurs ils immolent toutes les autorités des vieux livres à l’autorité de la raison.

Comme en général les avocats écrivent fort mal, qu’ils surchargent leur style d’une foule de mots inutiles, dans l’habitude où ils sont de trop parler, & sur-tout de parler à vuide, on les a vu très-jaloux des plumes un peu distinguées, & ils l’ont fait sentir à M. Linguet.

Je voudrois pouvoir dissimuler qu’ils sont dévorés entr’eux d’une jalousie ardente, & plus forte encore que celle qui anime les gens de lettres. Les écrivains se battent pour la gloire : les avocats se battent pont la gloire & pour la soupe.

Rarement savent-ils imprimer à leur cause cet intérêt qui détermine l’attention générale ; il leur manque l’éloquence. Il est vrai qu’elle devient inutile dans des causes vulgaires ou obscures : en ce cas, qu’ils se renferment dans le métier de jurisconsultes, & qu’ils n’aspirent pas au titre d’orateurs, ainsi qu’ils en ont la prétention secrete, ou plutôt indiscrete.

Il n’y a rien de plus ennuyeux que tel avocat célebre, quand on n’a plus besoin de sa jurisprudence.

Les factum d’avocats sont ordinairement des ouvrages remplis d’invectives grossieres : on ne fait plus attention à ces grosses injures, parce qu’on sait que des injures d’avocats ne sont pas des raisons, & ne prouvent rien.

Ils ont occasionné toutes les fougues & tous les malheurs du célebre Linguet, en le rayant de leur tableau. Ne devoient-ils pas, en faveur de ses talens, l’absoudre, au lieu de l’irriter en lui enlevant son état ? Ils ont fait grace à des confreres beaucoup plus coupables : mais l’hypocrite est lâche, & il se sauve ; l’homme passionné se livre à son feu, & il se perd. Je regretterai, avec tous les hommes justes & impartiaux, de n’avoir pas entendu plus long-tems la voix du seul orateur que le barreau possédoit ; & son exclusion, sa radiation seront une tache éternelle pour l’ordre.

La bigarrure des loix & la variété des coutumes font que l’avocat le plus savant devient un ignare, dès qu’il se trouve en Gascogne ou en Normandie. Il perd à Vernon un procès qu’il auroit gagné à Poissy. Prenez le plus habile pour la consultation & la plaidoierie ; eh bien ! il sera obligé d’avoir son avocat & son procureur, si on lui intente un procès dans le ressort de la plupart des autres parlemens.