CHAPITRE CXVI.

Échevins.


Un bourgeois est au terme de la gloire, quand il devient échevin ; il est rassasié d’honneurs, quand il voit une rue porter son propre nom.

La fatuité est le rôle habituel de tous les hommes opulens ; les courtisans, les évêques, les abbés, les hommes de robe & de finance & les échevins ne different que par des nuances : au fond, c’est la fatuité en présence de leurs inférieurs ; mais la morgue la plus risible est assurément celle d’un échevin.

Il faut être né à Paris, pour pouvoir parvenir à l’échevinage : on commence par être dizenier, quartenier. On a supprimé à l’hôtel-de-ville le feu d’artifice, mais non les festins. Tout le corps de ville tient invinciblement à l’ancien usage des banquets.

L’autorité municipale est nulle. Le prévôt des marchands, le procureur du roi, les échevins ont des places lucratives, honorifiques ; mais ce sont des fantômes du côté du pouvoir. Tout est entre les mains de la police, jusqu’à l’approvisionnement de la ville ; de sorte qu’elle n’a plus, dans ses propres & anciens magistrats municipaux, le principe de sa sûreté & le gage de sa subsistance : perte immense, & à laquelle le Parisien ne songe seulement pas.

L’hôtel-de-ville n’a donc rien à voir sur l’approvisionnement d’une ville où l’on consomme dans un jour ce que d’autres villes consomment en une année, d’une ville environnée de villes du troisieme ordre, & de villages peuplés comme des villes de province.

Le Parisien ne réfléchit pas que le même moyen qui lui apporte la subsistance, pourroit la lui enlever avec la même facilité, & sans qu’il en fût même informé.

La police municipale veille à la réparation des ponts & des quais, à l’entretien des fontaines, à la direction des fêtes & des réjouissances publiques. Elle a perdu ses autres privileges ; & ce qu’on appelle l’hôtel-de-ville est devenu, pour ainsi dire, un objet de dérision, tant ce corps est étranger aux citoyens. Ils ne le connoissent plus que sous le rapport d’un lieu où l’on paie les rentes perpétuelles & viageres, & où les criminels montent avant d’aller au supplice, pour y faire leur testament de mort.

Quelle distance du gouverneur de Paris, au lord-maire de la cité de Londres ! Le gouverneur paroît de tems en tems avec de beaux carrosses, une suite de valets loués pour porter sa livrée ; & il jette à la populace, mais avec une grande modération, des pieces de douze sols. Le lendemain de cette vaine représentation, il rentre dans la nullité la plus absolue.

Le prévôt des marchands fait lever la capitation, & il n’est guere connu que par l’exercice de cette imposition, tout à la fois mesquine, onéreuse & avilissante.

Le procureur du roi fait lever la main aux membres des différentes communautés, & tire d’elles beaucoup d’argent. On voit un savetier qui fait serment devant lui, d’être fidele au roi & aux loix de l’état ; & le savetier, tout étourdi de ces grands mots, paie le procureur du roi, pour la peine qu’il a prise d’écouter son serment.

Les échevins, tuméfiés du poids de leur grandeur, & dont les noms attachés sur le marbre des monumens publics doivent éternellement figurer au-dessous du nom des rois régnans, sont jaloux de transmettre leurs traits à la postérité. Ils font en conséquence peindre leur figure & leur perruque dans de grands tableaux. On les y voit en robe rouge, agenouillés devant le monarque.

On peut contempler dans l’hôtel-de-ville les inutiles portraits de tous ces échevins de Paris en Badaudois ; mais on y chercheroit vainement le portrait de l’homme utile qui a imaginé le flottage du bois. J’aimerois néanmoins tout autant connoître son nom & sa figure que celle de Jérôme Bignon.

L’échevinage donne la noblesse : on s’en moque amplement, parce qu’elle est de nouvelle date ; mais elle me paroît préférable à celle que l’on achete comme un meuble. Ces représentans de la cité pourront un jour, dans certaines circonstances que le tems amene, faire entendre, comme autrefois, une voix patriotique : mais un secretaire du roi ne sera jamais bon à rien.