CHAPITRE LXXVII.

De l’Habit noir.


Avec un habit noir on est vêtu, on est dispensé de suivre les modes, & d’avoir des habits de couleur : on est sensé être en deuil ; & quoique ce deuil soit éternel, on passe par-tout avec cet habillement.

Il annonce, il est vrai, peu d’aisance ; & par-là même il est affecté aux solliciteurs, aux officiers réformés, aux rentiers sans accroissement, aux auteurs, &c. Ceux-ci le portent quelquefois pour intéresser en leur faveur, se faire remarquer, & demander des pensions. Ce stratagême a réussi à quelques-uns ; il seroit très-incivil d’en faire tout haut la remarque.

Les deuils de cour, qui surviennent assez fréquemment, épargnent de l’argent aux bons Parisiens ; ces deuils mettent dans la société le plus grand nombre fort à son aise ; & l’on diroit alors que les fortunes sont égales.

La chûte des têtes couronnées n’est donc pas désagréable à Paris. Ces morts-là arrangent tout le monde ; car l’habit noir s’accorde merveilleusement avec les boues, l’intempérie des saisons, l’économie, & la répugnance à faire une longue toilette. J’hérite de tel roi, s’écrioit un poëte de ma connoissance. — Comment ? — Comment ! Il m’en eût coûté ce printems, pour un habit, vingt pistoles que je remets en poche ; & je porterai volontiers le deuil de Sa Majesté bienfaisante.

Il est assez plaisant de voir un bijoutier porter le deuil d’une tête couronnée, dont il estropie le nom ; mais l’usage a prévalu, & ce n’est plus un ridicule pour les classes les plus humbles de la société. Lorsque le petit deuil arrive, ceux qui ne sont pas riches, ou qui ne savent pas se mettre, trahissent leur état ; & les gens du monde reparoissent brillans, & se moquent de l’indigence, qui ne sait que se mettre tout en noir des pieds à la tête.

Le coup-d’œil le plus brillant au spectacle, est dans ces jours de petit deuil : c’est alors que les femmes & leurs diamans paroissent dans tout leur éclat.