CHAPITRE LXXI.

Cafés.


On compte six à sept cents cafés ; c’est le refuge ordinaire des oisifs, & l’asyle des indigens. Ils s’y chauffent l’hiver pour épargner le bois chez eux. Dans quelques-uns de ces cafés, on tient bureau académique ; on y juge les auteurs, les pieces de théatre ; on y assigne leur rang & leur valeur ; & les poëtes qui vont débuter, y font ordinairement plus de bruit, ainsi que ceux qui, chassés de la carriere par les sifflets, deviennent ordinairement satiriques ; car le plus impitoyable des critiques est toujours un auteur méprisé.

Les cabales pour ou contre les ouvrages s’y forment, & il y a des chefs de parti, qui ne laissent pas que de se rendre redoutables ; car ils vous déchirent un écrivain qu’ils n’aiment pas, du matin au soir : souvent ils ne l’ont pas compris, mais ils déclament toujours ; & il faut que la réputation littéraire essuie paisiblement toutes ces bourrasques.

Dans le plus grand nombre des cafés, le bavardage est encore plus ennuyeux : il roule incessamment sur la gazette. La crédulité Parisienne n’a point de bornes en ce genre ; elle gobe tout ce qu’on lui présente ; & mille fois abusée, elle retourne au pamphlet ministériel.

Tel homme arrive au café sur les dix heures du matin, pour n’en sortir qu’à onze heures du soir ; il dîne avec une tasse de café au lait, & soupe avec une bavaroise : le sot riche en rit, au lieu de lui offrir sa table.

Il n’est plus décent de séjourner au café, parce que cela annonce une disette de connoissances, & un vuide absolu dans la fréquentation de la bonne société : un café néanmoins, où se rassembleroient les gens instruits & aimables, seroit préférable, par sa liberté & sa gaieté, à tous nos cercles qui sont parfois ennuyeux.

Nos ancêtres alloient au cabaret, & l’on prétend qu’ils y maintenoient leur belle humeur : nous n’osons plus guere aller au café ; & l’eau noire qu’on y boit, est plus mal-faisante que le vin généreux dont nos peres s’enivroient : la tristesse & la causticité regnent dans ces sallons de glaces, & le ton chagrin s’y manifeste de toute part : est-ce la nouvelle boisson qui a opéré cette différence ?

En général, le café qu’on y prend est mauvais & trop brûlé ; la limonnade dangereuse ; les liqueurs mal-saines, & à l’esprit de vin : mais le bon Parisien, qui s’arrête aux apparences, boit tout, dévore tout, avale tout.

Chaque café a son orateur en chef ; tel, dans les fauxbourgs, est présidé par un garçon tailleur ou par un garçon cordonnier ; & pourquoi pas ? Ne faut-il pas que l’amour-propre de chaque individu soit à peu près content ?

On courtise les cafetieres : toujours environnées d’hommes, il leur faut un plus haut degré de vertu, pour résister aux tentations fréquentes qui les sollicitent. Elles sont toutes fort coquettes ; mais la coquetterie semble un attribut indispensable de leur métier.