CHAPITRE LXII.

Le Guet.


La sûreté de Paris, pendant la nuit, est l’ouvrage du guet & de deux ou trois cents mouchards, qui battent le pavé, qui renconnoissent & qui suivent les gens suspects ; c’est pendant la nuit que se font tous les enlevemens de police.

Les falots répandus çà & là, ne laissent pas que d’intimider les brigands ; de sorte que les rues de Paris sont sûres la nuit comme le jour, à quelques accidens près : accidens inévitables, quand on songe à la foule des hommes désespérés, qui n’ont plus rien à perdre.

On rossoit autrefois le guet, & c’étoit même un amusement que se procuroient les jeunes gens de famille & les mousquetaires ; on cassoit les lanternes, on frappoit aux portes, on faisoit tapage dans les mauvais lieux ; on enlevoit le souper qui sortoit du four, & l’on claquoit la servante ; on déchiroit ensuite la robe du commissaire. On a réprimé ces excès avec tant de sévérité, qu’il n’est plus question de pareils jeux : la jeunesse n’est plus réputée indisciplinable, & rien n’excuseroit aujourd’hui la violente incartade d’une tête écervelée.

Ce n’est pas là un des petits avantages de la capitale. L’âge mûr n’a rien à craindre de l’âge bouillant. Un magistrat a dit, qu’il vouloit que le pavé de Paris fût respecté comme le sanctuaire & le tabernacle. Il a raison, & il a bien dit.

La civilisation est presque perfectionnée de ce côté-là ; on n’a rien à craindre de l’insolence & de l’ivresse, parce que la main-forte n’est pas éloignée. On l’appelle à son secours, & on obtient ordinairement prompte justice.

Pierre le Cruel, qui passe pour avoir aimé la justice, en a donné une bonne preuve, à ce qu’a dit un historien Espagnol. Il se plaisoit à courir les rues la nuit. Une fois qu’il faisoit tapage, un garde de nuit croyant rencontrer un particulier, le battit vigoureusement ; le roi le tua. La justice le lendemain fit des perquisitions contre l’auteur du meurtre. Une bonne femme qui avoit reconnu le roi, l’accusa. Les magistrats en corps allèrent lui porter des plaintes : le roi, pour satisfaire la justice, fit couper la tête à son effigie. On voit encore cette statue tronquée au coin de la rue où le meurtre fut commis.

Cartouche a fait trembler la ville de Paris pendant un assez long espace de tems ; un pareil chef de voleurs, eût-il encore plus d’audace & de ressources, n’auroit pas de nos jours un tel avantage.

Une correspondance non interrompue entre le magistrat & ses préposés, opere la connoissance suivie de tout ce qui se passe ; & l’on prévient des désordres autant qu’on en punit.

Les recherches, informations & vérifications aboutissent à un centre où se réunit tout ce qui intéresse la sûreté publique.

Indépendamment de ces soins, les lanternes & réverberes, les différens corps-de-garde distribués, &, comme je l’ai déjà dit, les falots errans de tous côtés, ont prévenu une infinité d’accidens.

On ne sauroit trop multiplier les précautions, sur-tout à l’entrée des hivers. La machine est bien montée depuis cinquante ans ; mais cette machine, comme toute autre, a ses momens de langueur. Si elle venoit à s’arrêter, Paris seroit en proie aux horreurs d’une ville prise d’assaut.

La garde monte à près de quinze cents hommes ; on peut s’enrôler & vieillir dans ce corps, sans craindre les blessures : on peut y pousser sa carriere aussi loin qu’un moine qui boit, mange & digere ; on en est quitte pour dormir le jour, au lieu de reposer la nuit.

Quelquefois les soldats du guet maltraitent sans sujet ceux qu’ils arrêtent, & leur mettent les menottes d’une maniere cruelle ; on doit réprimer sévérement de pareils abus, & empêcher que les gardiens de la sûreté publique n’attentent impitoyablement au moindre citoyen, qui doit être respecté jusqu’à ce que les loix aient prononcé ; car il peut être innocent, avec toutes les apparences d’un homme coupable.