CHAPITRE LII.

Charmant Coup-d’œil.


Un coup-d’œil très-agréable encore est celui qu’offre le jardin des Tuileries, ou plutôt les Champs-Élisées, dans un beau jour de printems. Les deux rangs de jolies femmes qui bordent la grande allée, serrées les unes contre les autres sur une longue file de chaises, regardant avec autant de liberté qu’on les regarde, ressemblent à un parterre animé de plusieurs couleurs. La diversité des physionomies & des atours, la joie qu’elles ont d’être vues & de voir, l’espece d’assaut qu’elles font lorsque sur leurs visages brille l’envie de s’éclipser ; tout ajoute à ce tableau diversifié qui attache les regards & fait naître mille idées sur ce que les modes enlevent ou ajoutent à la beauté, sur l’art & la coquetterie des femmes, sur ce desir inné de plaire, qui fait leur bonheur & le nôtre.

Les vertugadins de nos meres, leurs étoffes tailladées de falbalas, leurs épaulettes ridicules, leurs enceintes de cerceaux, cette multitude de mouches, dont quelques-unes ressembloient à de véritables emplâtres, tout cela est disparu, excepté la hauteur démesurée de leurs coëffures : le ridicule n’a pu corriger ce dernier usage ; mais ce défaut est tempéré par le goût & la grace qui président à la structure de l’élégant édifice. Les femmes, à tout prendre, sont mieux mises aujourd’hui qu’elles ne l’ont jamais été : leur ajustement réunit la légéreté, la décence, la fraîcheur & les graces. Ces robes d’une étoffe légere se renouvellent plus souvent que ces robes où brilloient l’or & l’argent ; elles suivent, pour ainsi dire, les nuances des fleurs des diverses faisons. Il n’y a que la main de nos marchandes de modes, pour métamorphoser avec une si prodigieuse diversité la gaze, le linon & les rubans. Si les femmes pouvoient quitter ce choquant enduit de blanc & de rouge trop prononcé, elles auroient détruit le mauvais goût de leurs meres, & jouiroient de tous les avantages que la nature a versés sur elles : elles n’ont pas besoin de diamans & de parure, affiches du luxe & de l’opulence ; les diamans partagent l’attention que l’on doit à leur beauté réelle, & le charme le plus piquant d’une belle est d’ignorer qu’elle le soit.