CHAPITRE XLVII.

Chambres garnies.


Un Boyard vient habiter une mansarde sur le Palais-Royal, & un Moscovite se loge dans un entresol écrasé, à un prix exorbitant ; un Staroste & un Helvétien se partagent un même appartement.

Les chambres garnies sont sales. Rien n’afflige plus un pauvre étranger, que de voir des lits mal-propres, des fenêtres où sifflent tous les vents, des tapisseries à demi pourries, un escalier couvert d’ordures. En général le Parisien vit dans la crasse : on n’a pas assez pourvu aux besoins des voyageurs, & cependant qui est-ce qui ne voyage pas ? Un Anglois & un Hollandois, qui se sont fait une jouissance de la propreté la plus détestable, se trouvent couchés dans un lit infesté d’animaux incommodes ; tous les vents coulis entrent dans leur chambre. Ils quittent le plus tôt possible une ville où tous les sens sont douloureusement affectés, & emportent l’argent qu’ils y auroient laissé.

Les chambres garnies sont un asyle contre les créanciers : quiconque n’a pas fait des lettres de change qui contraignent par corps, & qui n’est pas marchand, arrête la voracité des huissiers : il sort de sa chambre garnie pour se promener sans risque, & dit comme Bias : omnia mecum porto.

On ne paie point de capitation personnellement dans les chambres garnies ; mais celui qui vous les loue, paie & vous fait payer en conséquence : il faut donner son nom sur des registres qui vont à la police, & elle sait bien ce qu’elle en fait.

L’enlevement des particuliers se fait beaucoup plus facilement dans les chambres garnies qu’ailleurs, & l’on n’y regarde pas de si près. Quand quelqu’un est arrêté par ordre du gouvernement, l’exempt crie à tous que c’est un voleur ; & comme la personne est non-domiciliée, on croit qu’elle a volé : on n’en parle plus le soir même, & là mémoire est ensevelie pour jamais.

Il y a eu des années où l’on a compté à Paris cent mille étrangers, tous en chambres garnies ; ce nombre est considérablement diminué. Le prix des chambres garnies est fort inégal : vous aurez un appartement de quatre pièces près du Luxembourg, qui vous coûtera six fois plus près du Palais-Royal. Ces malheureuses créatures, qui au sortir des spectacles vous arrêtent sur le pavé & vous poursuivent dans le ruisseau, sont en chambres garnies. Elles paient le double de ce que paieroit une femme honnête ; de sorte que ce loyer renaissant les écrase. Elles ne peuvent sortir de la triste condition où elles sont plongées que par une aventure heureuse & rare.

Il est défendu de louer à des femmes prostituées ; & sans elles néanmoins la moitié des appartemens seroient vuides : les perruquiers & les marchands de vin sont les principaux propriétaires de ces sales tripots ; ils en tirent beaucoup d’argent, se font payer d’avance, vexent ces déplorables créatures, & en sont encore les espions.