CHAPITRE XXIII.

Des Cheminées.


L’usage habituel que l’homme fait du feu, dit M. de Buffon, ajoûte beaucoup à cette température artificielle, dans tous les lieux où il habite en nombre. À Paris, dans les grands froids, les thermometres au fauxbourg Saint-Honoré marquent deux ou trois degrés de froid de plus qu’au fauxbourg Saint-Marceau, parce que le vent du nord se tempere en passant sur les cheminées de cette grande ville.

La consommation de bois est devenue effrayante, & menace, dit-on, d’une prochaine disette. Celui qui a inventé le flottage du bois, mériteroit d’avoir une statue dans l’hôtel-de-ville ; mais les échevins aiment mieux y montrer leur figure en perruque, roide & agenouillée. Cependant, sans cet inventeur heureux, la capitale n’auroit jamais pris un tel accroissement.

Ce bois que le fleuve amene, & qu’on entasse en piles hautes comme des maisons[1], disparoîtra dans l’espace de trois mois. Vous le voyez en pyramides quarrées ou triangulaires, qui vous dérobent la vue des environs : il sera mesuré, porté, scié, brûlé, & il n’y aura plus que la place.

Autrefois, ce qui composait le domestique se chauffoit à un foyer commun ; aujourd’hui la femme-de-chambre a sa cheminée, le précepteur a sa cheminée, le maître-d’hôtel a sa cheminée, &c.[2] Ceux même qui se piquent de politesse, ne s’abstiennent pas aujourd’hui, même en présence des dames, de se chauffer indécemment les mains & le dos, & de dérober la chaleur & la vue du feu à toute une compagnie. Cet usage a quelque chose de choquant.


  1. La Gazette ecclésiastique s’est imprimée long-tems sous une de ces piles ; les ouvriers de l’imprimerie étoient déguisés en scieurs & en débardeurs. Les limiers de la police étoient tous en défaut.
  2. Nicole, sur la fin de sa vie, n’osoit sortir, dans la crainte d’être écrasé par la chute d’une cheminée ; il ne songeoit qu’en tremblant à cette foule de longs tuyaux qui couronnent nos toits.