CHAPITRE XI.

Dangers.


Mais malheur au cœur neuf & innocent, échappé de la province, qui sous prétexte de se perfectionner dans quelqu’art, ose visiter sans mentor & sans ami cette ville de séduction ! Les pieges de la débauche qui usurpe insolemment le nom de volupté, vont l’environner de toutes parts : à la place du tendre amour, il ne rencontrera que son simulacre ; le mensonge de la coquetterie, les artifices de la cupidité sont substitués aux accens du cœur, aux flammes du sentiment ; le plaisir est vénal & trompeur. Ce jeune homme qui a quitté un pere, une mere, une amante, plongé dans une multitude confuse, sera heureux s’il ne perd quelquefois que sa santé ; si échappant à la ruine de ses forces, il ne va pas grossir le troupeau de ces ames sans vigueur & sans nerf, qui ne sont plus livrées qu’à un mouvement machinal. Ainsi tout est compensé ; & pour acquérir des connoissances rares ou neuves, il en coûte cher quand on veut toucher à l’arbre de la science.

Il y auroit une piece de théatre très-morale à faire, le Pere de province. Un malheureux pere, souvent abusé par une perspective décevante, combat mollement les desirs de son fils, lui ouvre la route de la capitale, séduit le premier par l’idée d’une prochaine fortune. Le fils part avec un cœur rempli des vertus filiales ; mais la contagion va le saisir : bientôt le pere infortuné ne reconnoîtra plus le fils dans lequel il se complaisoit ; celui-ci aura appris à tourner en ridicule les vertus qui lui étoient les plus cheres ; & tous les liens qui l’attachoient à la maison paternelle, il les aura oubliés ou brisés, parce qu’il aura vu la ville où ces nœuds sont si légers qu’ils n’y existent plus, ou qu’ils y sont tournés en ridicule.