TITRE OEUVRE/L’Amour à passions/01

Jean Fort (p. 9-14).

I

La Machine à battre… sa femme.


Elle est américaine.

Mais, rassurez-vous ! on en vend à Paris !

C’est extrêmement pratique. Vous attachez solidement votre femme à un anneau scellé dans le mur, vous approchez la machine, vous la mettez en mouvement, et vous pouvez aller tranquillement prendre votre apéritif, dîner au cercle, passer la soirée au théâtre, souper en aimable compagnie. Quand vous rentrez, la machine marche toujours…

Je n’invente pas, je n’exagère pas ! J’ai sous les yeux le prospectus ! La machine s’adapte à n’importe quel moteur ou dynamo, grâce à un jeu de courroies ! Il s’en fait de plusieurs tailles et de plus ou moins riches ! Il y en a pour toutes les bourses. On en règle la vitesse et la force à volonté, à l’aide d’une simple vis. L’on peut faire jusqu’à cent coups à la minute !

On la garnit de vergettes de bois, de lanières, de mèches. Le prospectus détaille tout cela !

Une plaisanterie, direz-vous ! Point. Le tribunal de Makatson (Illinois) a condamné, le 2 octobre dernier, « l’honorable » John Smit à cinq dollars d’amende pour… « abus de génie inventif » ! L’honorable John Smit, en effet, ne fut point condamné pour martyriser sa femme : il fut seulement condamné comme inventeur. Car, c’est lui l’inventeur de cette machine. Et pour en établir l’efficacité il l’expérimentait sur sa femme devant les personnes désireuses d’en acquérir un modèle !

Le prospectus ajoute qu’elle offre un grand avantage, celui de ne pas fatiguer. On peut, encore, la passer aux divers antiseptiques afin de joindre l’hygiène à l’utile.

La circulaire la recommande aux maîtres d’école et aux tribunaux. « Elle permet, dit-elle — je traduis textuellement — d’appliquer aux mêmes délits des coups de force égale, elle permet de corriger le petit enfant qui n’a pas bien appris sa leçon, comme le plus terrible bandit qui a assassiné. Son maniement est des plus simples ; il suffit de la mettre en communication avec n’importe quelle source électrique. Les personnes qui n’ont pas l’électricité chez elles peuvent l’actionner à l’aide d’une manivelle, sans fatigue ; un enfant peut la mettre en mouvement… »

… N’oublions pas qu’en Angleterre les peines corporelles sont en vigueur, tant dans la vie militaire que dans la vie civile. Il y a quelques mois, devant l’audace toujours croissante de nos apaches, quelques membres de notre Parlement demandèrent qu’on les appliquât aussi chez nous ; il se trouva des âmes sensibles pour combattre cette motion. Et, pourtant, quels services eût rendus une bonne petite machine à battre les amis de feu Bonnot, Garnier, Vallet et Cie !

Cette sensiblerie est d’autant moins de saison que la cruauté dans l’amour n’est pas absolument ignorée à Paris… Mais, elle porte un vilain nom : la flagellation ; pourquoi ne pas dire : l’amour brutal ? Une proxénète disait, parlant d’un fou qui martyrisait les femmes : « Il est brutal en amour. »

Chaque maison où l’on passe possède l’arsenal nécessaire : fouets, cravaches, lanières, joncs, verges, cordes, etc.

Vous plaît-il d’assister à une séance ? Lisez ces lignes d’Oscar Wilde (traduction de P. Dolant) :

« … Au milieu de la pièce est dressé une sorte de chevalet. La femme y est solidement ficelée, le ventre et la poitrine contre le meuble, les bras dirigés vers le sol, les reins tendus en l’air, comme quelque bête prête pour l’abattoir.

« Tantôt le client opère lui-même, tantôt il fait opérer par la sous-maîtresse. Mais leurs mains sont également expertes, le fouet n’a pas de secrets pour elles. Elles ne le manient point au hasard, sans raison, sans but ; elles en connaissent les raffinements, elles le manœuvrent comme les Indiens manœuvrent le lasso, sachant envelopper, caresser, brûler, piquer, chatouiller. Le fouet entre leurs mains c’est une bouche de femme qui tantôt embrasse, tantôt mord. D’un seul coup, elles savent l’enrouler plusieurs fois autour de la jambe, de façon à ce que la mèche s’arrête à l’endroit voulu. Elles savent frapper de telle manière que la lanière arrive droite, rigide, comme une lame tranchante.

« Sur la croupe tendue de la malheureuse les lanières s’abattent en tous sens, n’épargnant rien, marbrant la chair ; des taches blanches, rouges, brunes apparaissent successivement, les zébrures s’entrecroisent, cependant que les membres tirent sur leurs liens et que le visage, tout pâle, se contracte horriblement.

« Le bourreau prend plaisir à prévenir :

« — Attends, maintenant, je vais frapper à droite. Attention ! Un ! deux ! trois ! Bien touché ! Tiens, voilà un peu de sang ! habituellement, ce genre de coup ne fait pas saigner. On apprend à tout âge décidément ! Maintenant, je vais frapper un peu plus bas, ici.

« Et du doigt il touche un point de la chair, et le marque d’un coup d’ongle. Puis, il prend bien son temps, tandis que la malheureuse, dans l’attente d’un nouveau coup, frémit, tremble affreusement, haletant de peur, la gorge avec des hoquets. Et le coup annoncé arrive, inexorable, épouvantable à l’endroit désigné.

— Je vais doubler, tu vas voir ; juste à la même place ! je ne m’écarterai pas de deux millimètres !

« En effet, il « double » avec une extrême habileté. Et ce jeu l’intéresse au point qu’il ne voit pas les sursauts de douleur de la jeune femme, qu’il n’entend pas ses cris. Il ne voit que la chair, il n’entend que les vibrations du fouet.

« Et, toujours frappant, il s’anime, s’excite, se passionne, rougit — et tape de plus en plus fort, poussant, de temps en temps, de gros soupirs de fatigue. Maintenant, la croupe de la malheureuse se couvre de sang, et des gouttes glissent lentement le long des flancs, se réunissant un peu plus bas en rigoles sinueuses… »