Têtes et figures/Le mardi-gras de la mère Adrien

La Compagnie de Publication de "Le Soleil" (p. 55-70).

Le Mardi-gras de la mère Adrien


C’était le soir du mardi-gras de l’an 185*.

Il faisait un froid de loup. Une forte bise du nord-ouest soulevait la neige en rafales ; sous la double action du froid et du vent, les grands arbres craquaient, se fendaient. Au firmament, de petits nuages échevelés filaient avec une vitesse effrénée. Çà et là cependant, on voyait scintiller des milliers de constellations, et, éblouissantes comme des jets de lumière électrique, les planètes de notre système avec leurs satellites.

Si le temps était dur, il y avait cependant dans l’air comme une note vibrante de gaieté. Au travers des carreaux engivrés, les chandelles répandaient plus de lumière que d’ordinaire.

De chaque côté de la rivière Chaudière, toute en glace à cette saison, l’illumination était générale, sur les coteaux, comme au ras de la rive ; l’écho apportait du lointain la joyeuse sonnerie des grelots des attelages. Les paysans étaient en liesse, et, oublieux de la bise et des rafales, fêtaient le dernier jour du carnaval.


S’il semblait que ce fût fête un peu partout, il n’en était pas de même chez la mère Adrien. On l’appelait la mère Adrien tout court, du nom de son mari dont elle était veuve depuis plusieurs années déjà ; son nom était Élizabeth.

Elle avait eu cinq filles et autant de garçons pour le moins ; les filles étaient mariées à la ville. Quant aux garçons, des gaillards de six pieds, ils étaient partis les uns après les autres à la recherche de la fortune, qui dans l’ouest américain, qui à la Rivière Rouge. Pas un d’eux n’était revenu au pays, et ne donnait de ses nouvelles, qu’à de bien rares intervalles.

La vieille maisonnette, sise sur le chemin du Roy, au sommet d’une côte et sur la lisière d’un escarpement prolongé de la rivière, était restée bien déserte et bien triste depuis.

Et la vie avait été dure pour la mère Adrien ; la terre donnait ses produits petite mesure ; grevée de redevances, elle était menacée d’un exploit d’huissier, un jour ou l’autre.

Pourtant, la mère Adrien était une bien brave femme. Que pouvait-elle avoir fait au bon Dieu pour subir si longue et rude épreuve ? D’une stature et d’une vigueur plus qu’ordinaires, c’était la bonté de cœur incarnée ; jamais plus noble caractère n’habita charpente humaine. Sa maison était ouverte à tous, aux voyageurs, aux pauvres, aux malades, aux traqués du sort, et ce n’était pas elle qui eut jamais songé à demander un liard pour une hospitalité dont elle s’était fait un devoir, une vertu.

Ce soir-là, la mère Adrien n’avait guère le cœur à la joie. Assise devant sa vieille cheminée où flambait une grosse bûche, les lunettes relevées sur le front, elle ruminait aux moyens de sortir de sa misère et de sauver la terre de ses aïeux.


Sur la route, entre Saint-Joseph et Sainte-Marie, dans le comté de Beauce, cheminait à cette heure-là une carriole tirée par un de ces petits chevaux canadiens, trapus, nerveux, tout en crinière, qui se font bien rares aujourd’hui au Canada. La carriole était occupée par un étranger tout de fourrures habillé et conduite par un paysan connu dans la contrée sous le nom de Charles-à-d’Jos-m’oncle Charlot, et qui sera désigné désormais sous le nom de Charlot. Ces dénominations de personnes ne sont pas rares à la campagne au Canada. Comme souvent les enfants portent le même nom de baptême, pour les distinguer, on dit Pierre à Jacques ou Pierre à François, Jacques et François indiquant le nom du père.

L’étranger s’en allait à Québec, et, par un pareil temps, il en avait pour au moins dix heures de course. Mais le voyage menaçait de durer plus longtemps encore, car, de temps à autre, Charlot était obligé de « ranger » son cheval à côté du chemin, par rapport aux rencontres.

Et les rencontres étaient plus fréquentes qu’à l’ordinaire ce soir-là, à tel point que l’étranger finit par maugréer pour de bon.

— Sapristi, dit-il, on se croirait un dimanche au sortir de la messe. De ce train-là, jamais je n’arriverai à la ville.

— C’est pas ben agréable, observa Charlot, de voyager à soir, mais que voulez-vous que j’y fasse ; c’est l’mardi-gras, s’pas, et chacun enterre le carnaval.

— Peste soit du mardi-gras ! répliqua l’étranger, je voudrais qu’il fût mort et enterré !

— Ah ! pour ça, monsieur, vous pouvez y compter ; quand nos gens l’enterrent, ça n’est pas pour rire. Et tenais, si vous étiez pas si pressé d’arriver à la ville, ma frine ! j’cré que y aurait moyen de s’amuser un brin. Je vous assure que c’est ben plaisant et qu’vous auriez du plaisir, à plein… Tous ces gens-là sont des veilleux, pas ! Y s’en vont veiller manquablement, et pis danser avec les criatures, j’vous l’dis. Ils ont un violon avec eux autres, un nommé Simard, de Québec. Il est descendu avant-hier ; y paraît que c’est un joueux comme rare. Mais un qui était pas aisé à batt’ dans son temps, c’était l’père Adrien : c’est ça qui jouait, du violon. J’en ai pas encore rencontré comme lui.

— Marche donc ! Vigoureux.

Vigoureux était le nom du petit cheval canadien.

— Oui. monsieur, on s’amuse ben par icite durant l’temps du carnaval… Mais le mardi-gras, à mainuit, crac ! c’est fini. On tombe dans l’carême, m’a dire comme on dit, dans la sainte quarantaine…

— Eh ! avance donc ! Vigoureux.

Si Charlot gourmandait un peu plus son cheval, c’est qu’alors le village de Sainte-Marie était proche et qu’il voulait y entrer faraud, comme les paysans canadiens, amateurs de chevaux, arrivent le dimanche pour la messe, à la porte de l’église.


Décidément, ce n’était plus des rencontres isolées que l’on faisait, mais des groupes de traîneaux de tous genres. À un certain moment, tout un cortège de sleighs et de carrioles se mit à défiler. Ce défilé avait un caractère tout particulier. Il semblait même avoir une certaine prétention.

— Bonsoir, Charlot, bonsoir ! cria-t-on de plusieurs carrioles au passage.

— Tiens, s’écria celui-ci, si j’me trompe pas, ça, ça doit êt’ la noce du p’tit Jean Bilodeau, p’tit Jean à Pierre, avec la p’tite Joson Perreault ; ils sont mariés il y a huit jours aujourd’hui.

— Comment, interrompit l’étranger, mariés depuis huit jours, et la noce dure encore ?

— Ah ! ben dame ! m’sieu, repartit Charlot, ici, vous savez, quand on s’marie, y a pas d’blague sus l’jeu ; ça dure trois, quatre et jusqu’à huit jours. D’abord, on va chez le père du marié ; ensuite chez les parents de la mariée ; puis chez les oncles, les tantes, les cousins tant d’un bord comme de l’aut’. On mange et on danse ; on danse et on mange. On met la table, on réveillonne ; je vous assure qu’il en passe des provisions, des tourtières, des pâtés à la viande ; par chez nous, on appelle ça des pâtés croches ; y a d’l’amusement à y avoir, vous l’croirais pas. C’est pas, comme de raison, comme chez les messieurs de la ville ; mais pour dire qu’on s’amuse pas, on s’amuse. Et pis, y a des beaux danseux, allez !… Sans m’vanter, y a quelques années, j’étais pas manchot, moi aussi, du côté de la danse. J’claquais l’reel ; y en avait de pires que moi. Et j’dis pas qu’au jour d’aujourd’hui encore, pour une gigue voleuse… hum !… hue donc ! Vigoureux, ça serait pas aisé de m’batt’. C’est ben dommage que vous soyiez si pressé ; on s’amus’rait un brin.

Et Charlot debout, sur le devant de la carriole, la tête tournée en arrière, regardait avec un air de regret la noce s’éloigner.

Rendu un peu bavard par la vue des maisons du village toutes illuminées, de chaque côté du chemin, Charlot renseignait l’étranger sur les habitations et leurs occupants, les gens à l’aise surtout.

— Ici, au nordais, demeurait France Bilodeau, un brave homme qui avait beaucoup voyagé dans les pays d’en haut parmi les sauvages. Là-bas, toujours au nordais, c’étaient les Duchesnay, les Taschereau, les Lindsay.

Plus loin, la maison de pension de Pierre Beloin, la meilleure à partir de la Pointe-Lévis ; aussi, tous les messieurs de la ville y logeaient, quand ils venaient à Sainte-Marie. Plus loin encore, c’était la résidence de M. de Léry, autrement dit le manoir. C’était un homme ben riche que monsieur de Léry… au sorrois, la maison de M. Forquier, le notaire.

— Ici finit le village, dit Charlot, en forme de péroraison, et les grands arbres que vous voyez là, de chaque côté du chemin, on appelle ça le domaine… mais, j’y pense, vous aurais p’têt aimé à arrêter chez Pierre Beloin ?

— Non, non, file, mon bon, articula l’étranger, je suis pressé, et vas-y au plus coupant !

Un coup de fouet mit des ailes aux jarrets de Vigoureux.

Quelque temps après avoir franchi le domaine, la carriole arriva au sommet d’une côte, non loin d’une impasse menant à un endroit de la grève, où en été, les voitures traversent la rivière Chaudière à gué. Vigoureux, qu’une bonne course avait essoufflé, s’arrêta de lui-même en face d’une vieille masure habitée par un irlandais du nom de Polly Murphy, et où l’administration militaire du Canada tenait un poste de soldats à l’intention des déserteurs de la garnison de Québec.

— Si nous arrêtions ici un instant, dit l’étranger qui, depuis qu’il voyageait sur le haut des coteaux, sentait le froid le gagner.

— Vous ferais ben comme vous voudrais, dit Charlot, mais j’vous garantis pas que c’est propr’ici ; c’est plein de soldats là-dedans. Si vous vouliez prendre mon conseil, on irait à l’autre maison en haut de la côte, chez la mère Adrien, comme on l’appelle par ici. C’est pas de ce que c’est ben riche, mais on y sera ben reçu, j’vous en réponds.

— Va pour la mère Adrien, répliqua l’étranger.

Et Vigoureux, aiguillonné d’un coup de fouet, descendit la côte à fond de train pour remonter au galop la pente opposée, comme, du reste, font les chevaux canadiens dans les parties montagneuses du pays.

La maison de la mère Adrien n’avait guère meilleure mine que celle de Polly Murphy. Elle émergeait, un peu penchée en arrière, du sein d’une collection de bancs de neige, auxquels la bise, ayant beau jeu à ce niveau comparativement élevé, avait donné les formes les plus bizarres. Derrière les vitres, qu’une épaisse couche de givre recouvrait, on pouvait distinguer les reflets de l’unique lumière qu’il y avait dans la maison.

— Demandes donc, Charlot, si l’on peut entrer, dit l’étranger.

— Ah ! pour ça, mon cher monsieur, vous pouvez compter là-dessus ; la mère Adrien veille encore.

Charlot, tenant encore les guides, alla frapper à la porte.

La lumière de l’intérieur s’agita, puis la porte s’entrouvrit, et la silhouette de la mère Adrien se dessina, la main au-dessus des yeux, et, interrogeant l’obscurité.

— Excusez, la mère, dit Charlot en faisant des manières, on n’est pas venu pour vous troubler.

— Tiens, tiens, mais c’est ben Charles-à-d’Jos-m’oncle-Charlot, dit la bonne femme. D’où c’que tu d’viens, par un temps pareil ? Tu fêtes le mardi-gras, gageons !

— Non, non, la mère, répondit Charlot, j’m’en vas à la ville m’ner c’monsieur-là. Si c’était un effet de vot’ bonté, on se chaufferait un peu et j’donnerais à boire à mon cheval.

— Comme de raison, fit la mère Adrien ; mais, entre donc ! tu fais geler la maison ! Puis s’adressant à l’étranger : Entrez donc, monsieur… Vous êtes ici chez des habitants. On n’est pas logé comme à la ville ; mais vous prendrez ce qui y aura ; c’est d’bon cœur.

Charlot entra, en secouant ses bottes sauvages, suivi de l’étranger qui salua, et passa dans la pièce de droite. Puis il ressortit pour aller mettre Vigoureux à l’étable et lui donner du foin et de l’eau.

L’étranger n’eut rien de plus pressé que de faire sauter ses fourrures et de s’installer près du feu de cheminée. L’onglée avait déjà commencé à le saisir aux pieds et aux mains.


À la lueur du foyer, il lui fut facile de s’apercevoir qu’il n’était pas entré dans un palais. C’était propre, mais bien vieux. Dans la meilleure pièce, à côté, une croix noire en bois, quelques images coloriées de saints, ne réussissaient même pas, sur les murs enfumés et décrépits, à créer pour l’œil une diversion satisfaisante ; elles étaient aussi fanées que le reste.

Quand l’étranger parut commencer à se dégourdir un peu :

— Vous me direz que j’sus beu curieuse, interrogea la mère Adrien, mais vous venez manquablement de ben loin ?

— Je reviens justement de Saint-François, madame, et je m’en retourne à la ville ce soir même, si c’est possible.

— Ben sûr que vous devez avoir mangé depuis longtemps, et que vous prendriez une bouchée de n’importe quoi, dit la mère Adrien, en se dirigeant du côté de la huche.

Et, sans attendre la réponse de l’étranger, elle alla installer une petite table vermoulue au milieu de la pièce des grands jours du logis, y étendit un drap blanc en guise de nappe, alluma un poêle à deux ponts qui ne tarda pas à jeter une réconfortante chaleur dans la chambre, infusa du petit thé de savane, le servit bien chaud avec du pain de ménage cuit de la journée même, du lait, de la crème et une vaste tourtière.

— Ça n’est pas grand’chose, dit-elle, mais ça vous réchauffera et vous mettra d’aplomb pour le reste du voyage ; car, Sainte-Anne bénite, vous n’êtes pas rendu.

Pendant ce temps-là, Charlot était revenu de la grange, et, connaissant les aires, était rentré par la porte de derrière de la maison. En voyant la table mise, Charlot, qui se sentait une fringale, ne se fit pas prier pour s’y installer.

Quant à l’étranger, il s’était rarement assis à une table avec un appétit plus féroce. Il n’est pas de meilleur apéritif qu’une course de quelques lieues en carriole. Il s’empressa d’ajouter au menu une petite bouteille de rhum qui mit tout le monde en bonne humeur.


Tout en donnant un vigoureux coup de dent à la tourtière, l’étranger, qui se sentait pour de bon ranimé, causait avec entrain, lorsque tout à coup ses yeux tombèrent sur un violon accroché à la muraille.

— Madame, hasarda-t-il, on fait de la musique ici : vous avez quelqu’un qui joue du violon ?

— Pardon, mon cher Monsieur, répliqua la mère Adrien, y a personne qui joue du violon ici. Ce violon appartenait à mon défunt mari.

Depuis qu’il est mort, il est toujours resté accroché là, et je l’ai tenu aussi en ordre que possible, en souvenir de ce pauvre défunt… Il y a ben des années de ça. Ce pauvre Adrien était un homme de plaisir, allez ! Il n’y avait pas de fête sans lui. Depuis ce temps-là, j’ai ben entendu des joueurs en renommée, mais, vrai comme je vous l’dis, j’en ai pas trouvé qui jouaient à mon goût comme mon pauvre homme.

— Ah ! pour ça, c’est vrai c’que vous dites-là, mère Adrien, appuya Charlot, ça jouait c’t’homme-là, c’était comme eune invention.

L’étranger, simple mouvement de curiosité, se leva, et alla passer le pouce sur les quatre cordes de l’instrument. Il tressaillit ; le son qui venait de se produire indiquait un excellent violon, malgré que les cordes ne fussent pas beaucoup d’accord.

— Me permettez-vous de l’examiner, demanda-t-il ?

— Certainement, Monsieur, dit la vieille, vous connaissez peut-être ça, vous. Espérez donc, j’vais vous le donner !

L’étranger, en effet, était un amateur et connaisseur, mais n’en fit rien voir. Il palpa le violon en tous sens, en sonda toutes les parties. Puis, s’approchant de l’unique lumière de la pièce, il se mit à scruter l’intérieur de l’instrument. Quelle ne fut pas sa surprise de lire à travers la poussière du fond le nom de Antoine Stradivarius.

— Mais comment, diable, se dit-il, pareil instrument se trouve-t-il dans ces parages ? Par quel hasard est-il tombé entre les mains d’un villageois qui ne s’est probablement jamais douté du trésor qu’il possédait ?

Alors, affectant la plus parfaite indifférence :

— J’aime beaucoup les instruments de musique, dit-il, et je n’aurais pas d’objection, madame, à vous acheter ce violon.

— Que dites-vous là, exclama la mère Adrien ! Jamais je me séparerai de ce souvenir de mon pauvre mari ! Quand même vous m’en offririez dix louis !…

Dix louis, c’était alors une bien grosse somme d’argent à la campagne !…

— Je comprends, madame, mais si je vous en donnais cinq fois autant.

La mère Adrien recula, de plusieurs pas, de surprise ; ses lunettes faillirent en tomber.

— Comment ça, monsieur, mais vous voulez vous moquer, balbutia-t-elle, vous comprenez… ça ne vaut pas, ça ne peut pas valoir tant que ça.

— Madame, répliqua l’étranger, je suis sérieux, c’est à prendre ou à laisser, et, comme il se fait tard, et que je suis pressé, il me faut repartir. Allons ! Charlot, vite, attèle !

Charlot, aussi stupéfait que la mère Adrien, s’habilla et sortit sans dire un mot.

Vigoureux fut vite attelé.

Lorsqu’il revint à la maison, l’étranger tenait sous le bras une boîte de bois grossier ; le violon s’y trouvait, et les cinquante louis étaient sur la table.

— Bonsoir, madame, dit l’étranger, qui sortit et alla s’installer dans la carriole.

Charlot était resté comme figé près de la table ; les cinquante pièces d’un louis l’avaient comme hypnotisé ; il n’avait jamais vu autant d’argent à la fois.

— Charlot ! lui cria du dehors l’étranger.

— Oui, oui, monsieur, on y va, j’allume !

— Ben ! la mère, finit-il par articuler entre deux touches et en bourrant sa pipe du pouce, j’veux que le diable m’exerce pour faire un trotteur, si c’est pas comme ça que les miracles se font. Mais, qu’en pensez-vous, mère Adrien ? J’sus pas sûr si c’t’homme-là, si c’est du monde, ou ben le Mardi-Gras. Ayeu donc, la mère !

Et Charlot sortit en courant.

On l’entendit gourmander Vigoureux, et ya donc ! par ci, et hue donc ! par là, et la carriole partit.

Charlot, l’âme remplie d’une crainte superstitieuse, n’osa pas adresser la parole à l’étranger le reste du voyage. Il était convaincu que s’il ne transportait pas le diable, c’était quelqu’un qui lui avait déjà parlé, qui avait tué la poule noire et découvert un coffre-fort.

Quant à la mère Adrien, les lunettes toujours sur son front encadré de cheveux blancs, elle était restée comme rivée au plancher de la pièce, se demandant vraiment si elle ne faisait pas un rêve.

Des larmes perlaient au bord de ses paupières. Le violon n’était plus là, c’est vrai, mais le bien paternel était sauvé.

La mère Adrien avait fini par fêter, elle aussi, le mardi-gras.