Système des beaux arts/II/Introduction

Texte établi par Ch. Bénard,  (p. 158-173).

DEUXIÈME SECTION.


SCULPTURE.




INTRODUCTION.


À la nature inorganique, première manifestation de l’esprit, telle que l’architecture est capable de la façonner conformément aux règles de l’art, s’oppose l’esprit lui-même. L’élément spirituel doit désormais faire le fond véritable des œuvres de l’art et de ses représentations. Nous avons déjà vu la nécessité de ce progrès. Il est dans l’idée même de l’esprit qui se distingue dans sa nature interne, ou sa subjectivité, et dans son existence externe, ou son objectivité. Dans l’œuvre d’architecture, le principe interne perce bien à travers les formes extérieures, mais sans pouvoir les pénétrer complètement, et faire de l’objectif la manifestation adéquate de l’esprit, montrer celui-ci tel qu’il est. L’art donc abandonne le règne inorganique dont l’architecture, dans son assujettissement aux lois de la matière et de la pesanteur, s’est, en vain, efforcée de faire une expression plus parfaite de l’esprit ; il se retire dans le monde intérieur qui, maintenant, apparaît libre, dans sa haute vérité, dégagé de tout mélange avec la matière inerte. C’est sur ce chemin, que parcourt l’esprit en se détachant de l’existence physique et matérielle pour revenir sur lui-même, que nous rencontrons la sculpture.

Mais le premier pas que nous faisons dans cette région nouvelle n’est encore nullement le retour de l’esprit sur lui-même, la conscience réfléchie de son existence intérieure ou subjective ; ce qui nécessiterait, pour sa représentation, un mode de manifestation purement idéal. L’esprit ne se saisit d’abord qu’autant qu’il s’exprime encore dans l’existence corporelle et y trouve sa forme homogène. L’art qui prend pour objet ce moment du développement de l’esprit sera, dès lors, appelé à représenter l’individualité spirituelle dans le domaine des choses matérielles encore, il y a plus, immédiatement matérielles. En effet, la parole, le discours, sont aussi une manifestation de l’esprit par des signes extérieurs. — Mais ceux-ci n’ont aucune valeur propre sous le rapport physique Comme sons, mouvements, vibrations d’un corps, d’un élément particulier, de l’air, ils jouent le rôle de simples véhicules de la pensée. Le corps, proprement dit, au contraire, est la matière étendue. Tels sont la pierre, le métal, l’argile, en un mot le solide avec ses trois dimensions. Or, la forme qui convient à l’esprit, c’est, comme nous l’avons vu, le corps réel par lequel la sculpture représente l’esprit sous l’aspect de l’étendue complète.

Sous ce rapport, la sculpture se trouve encore au même degré que l’architecture, puisqu’elle façonne l’élément physique dans sa forme matérielle ou étendue. Elle s’en distingue cependant, en ce qu’elle ne travaille pas la matière inorganique comme quelque chose d’étranger à l’esprit, de manière à en faire un simple appareil approprié à son usage, se bornant à la revêtir de formes qui ont leur but en dehors d’elles-mêmes. Elle représente, au contraire, l’être spirituel lui-même, ayant en soi sa propre fin, libre et indépendant, dans son idée même, et cela, dans une forme corporelle qui convient essentiellement à son individualité. En même temps, elle offre aux yeux les deux termes, le corps et l’esprit, comme formant un seul et même tout, comme inséparables. L’œuvre de sculpture s’affranchit, dès lors, de la destination imposée à l’architecture, celle de servir à l’esprit de simple enveloppe matérielle. Elle existe par elle-même et pour elle-même. Mais, malgré cette différence, l’image façonnée par la sculpture reste dans un rapport essentiel avec les objets qui l’environnent. On ne peut faire une statue, un groupe, encore moins un bas-relief, sans prendre en considération le lieu où ils doivent être placés. Et non-seulement l’artiste doit y songer avant de mettre la dernière main à son œuvre ; mais déjà cette appropriation à la nature extérieure, à la disposition de l’espace, ou du local, doit exister dans la conception première. Par là, la sculpture conserve un rapport durable, principalement avec l’enceinte architecturale. La première destination des statues fut d’être faites pour les temples, d’être placées dans la Cella ; de même que la peinture fournit des tableaux d’autel aux églises chrétiennes. Or, les statues ne sont pas seulement destinées aux temples et aux églises : les salles, les escaliers, les jardins, les places publiques, les portes, les colonnes isolées, les arcs de triomphe, sont animés et, en quelque sorte, peuplés par les images de la sculpture. Il y a plus, indépendamment du local, chaque statue exige, comme sa place, son terrain propre, un piédestal. Mais c’en est assez sur les rapports de la sculpture et de l’architecture.

Si nous comparons maintenant la sculpture avec les autres arts, ce sont principalement la Poésie et la Peinture qu’il faut considérer. Les statues isolées ou formant des groupes nous offrent la forme corporelle animée par l’esprit, l’homme tel qu’il est. La sculpture parait donc posséder la minière la plus conforme à la nature de représenter le principe spirituel. La peinture et la poésie sont, au contraire, moins naturelles. La première, en effet, au lieu des trois dimensions de l’étendue, qui constituent, en réalité, la forme humaine et celle des autres êtres, n’emploie que la surface. Quant au discours, il exprime encore moins le corporel ; il ne peut qu’en transmettre l’idée par le son.

Cependant ; il en est tout autrement. Si l’image créée par la sculpture paraît offrir quelque chose de plus naturel, précisément, cette forme corporelle, représentée par la matière pesante, n’est pas la vraie nature de l’esprit comme tel. Celui-ci, au contraire, ne s’exprime bien que par la parole, par les actions qui révèlent et développent sa pensée intime, et le montrent tel qu’il est ; et, sous ce point de vue, la sculpture devra être inférieure surtout à la poésie. Les arts du dessin, il est vrai, l’emportent par la clarté plastique ; qui nous met sous les yeux la forme corporelle. Et encore, la poésie ne peut elle pas décrire la figure de l’homme, sa chevelure, son front, ses joues, sa taille, son vêtement, son maintien ? Elle ne le fait pas avec la même précision et la même exactitude ; mais, ce qui lui manque sous ce rapport, l’imagination y supplée. Celle-ci, d’ailleurs, n’a pas besoin, pour se les représenter, d’une détermination aussi exacte et aussi détaillée. La poésie montre, avant tout, l’homme en action, l’homme agissant en vertu de ses idées et de ses passions, accomplissant sa destinée dans les diverses circonstances de la vie ; elle reproduit ses impressions, ses discours, les révélations de son ame, les événements extérieurs.

C’est ce que ne peut faire la sculpture, ou du moins ce qu’elle fait très imparfaitement. Elle n’est capable de représenter ni les sentiments internes de l’ame, ni les passions déterminées qui l’agitent, ni une suite d’actions, comme le fait la poésie. Elle n’offre le caractère général de l’individu qu’autant que le corps l’exprime dans un moment déterminé, et cela sans mouvement, sans action vivante, sans développement.

Elle le cède aussi, sous ce rapport, à la Peinture. Dans la peinture, en effet, par la couleur du visage, la lumière et les ombres, l’expression de l’esprit, non-seulement acquiert dans le sens du naturel, une plus grande exactitude matérielle, mais elle y gagne, surtout du côté du caractère physiognomique et pathognomique, une vérité et une vitalité supérieures. Aussi, pourrait-on croire, au premier moment, qu’il manque quelque chose à la sculpture, et qu’elle ferait bien d’ajouter à sa prérogative de reproduire les trois dimensions, les avantages de la peinture. N’est-ce pas, en effet, arbitrairement qu’elle abandonne la couleur à la peinture ? N’est-ce pas une pauvreté, une maladresse d’exécution que de se borner à un seul côté de la réalité, à la forme matérielle, et de s’abstraire à un tel point ? C’est ainsi que les silhouettes et la gravure ne sont qu’un simple moyen subsidiaire, commandé par la nécessité. Or, on ne peut parler d’un pareil arbitraire dans l’art véritable. — La forme que représente la sculpture n’est, il est vrai, qu’un côté abstrait du corps humain, réel et vivant. Elle n’offre aucune diversité de couleurs et de mouvements. Mais cela n’est pas une imperfection accidentelle ; ce sont des bornes que l’art s’est posées à lui-même, en vertu de son essence, dans l’emploi de ses matériaux et dans son mode de représentation. L’art est un produit de l’esprit, et de l’esprit parvenu à un degré supérieur de son développement. Dès-lors, ses œuvres doivent avoir pour but un fond déterminé et un mode de représentation artistique, distincts de tous les autres. Il en est ainsi de l’art comme des diverses sciences. La géométrie ne s’occupe que de l’espace ; la jurisprudence du droit ; la philosophie du développement de l’idée éternelle et de sa réalisation dans le monde physique et moral. Elles développent diversement ces objets divers, sans qu’aucune d’elles représente complètement ce que l’on appelle la réalité concrète, dans le sens que l’on attache communément à ce terme.

L’art, comme toute création de l’esprit, procède par degrés. Ce qui est séparé dans la pensée, quoique non dans la réalité, il le sépare également. Il maintient par conséquent ces degrés fortement distincts pour les développer selon leurs caractères déterminés Ainsi, dans les matériaux étendus sur lesquels s’exercent les arts du dessin, on doit distinguer par la pensée et séparer l’un de l’autre, le corps, proprement dit, avec la totalité de ses dimensions, et sa forme abstraite, l’apparence visible en soi, plus particularisée d’ailleurs, plus vivante sous le rapport de la diversité des couleurs. La sculpture s’arrête au premier degré, à la forme humaine proprement dite, qu’elle façonne comme un corps stéréométrique, d’après sa simple configuration déterminée par les dimensions de l’espace.

L’œuvre d’art qui apparaît sous une forme physique et qui a besoin d’un spectateur, suppose, il est vrai, un élément étranger, la lumière qui se particularise dans la couleur. Mais l’art qui, le premier, a pour objet la forme du corps humain, comme expression de l’esprit, ne va, dans cette représentation, que jusqu’au premier mode de l’existence naturelle et même encore générale, jusqu’à la simple manifestation dans la lumière, sans admettre la combinaison de celle-ci avec l’obscur, ce qui donne la couleur. C’est à ce degré que s’arrête la sculpture dans la carrière que l’art parcourt dans son développement nécessaire. Car les arts du dessin qui ne peuvent, comme la poésie, embrasser la totalité des apparences visibles en s’adressant à l’imagination, doivent les développer séparément.

Par là, nous conservons, d’une part, l’objectivité[1], qui, par cela même qu’elle n’est pas la forme propre de l’esprît, s’oppose à lui comme nature inorganique. Cet élément, l’architecture le transforme en un symbole simplement indicatif qui n’a pas en lui-même son sens spirituel. L’extrême oppose de l’objectivité comme telle est la subjectivité, l’ame dans la particularisation parfaite de toutes ses tendances et de ses dispositions y de ses passions, de ses mouvements intérieurs et extérieurs, de ses actions, etc.

Entre ces deux extrêmes, nous rencontrons l’individualité spirituelle, déterminée, il est vrai, mais non encore plongée dans les profondeurs du sentiment. Ici, au lieu de la particularité subjective domine encore la généralité substantielle de l’esprit, de ses fins et de ses traits caractéristiques. Dans cette généralité, l’ame ne s’est pas encore repliée sur elle-même comme unité purement spirituelle. Ensuite, à ce point intermédiaire, elle participe encore de l’objectif, de la nature inorganique ; elle implique même l’existence corporelle, le corps comme approprié à l’esprit, lui convenant et le manifestant à la fois. C’est sous cette forme extérieure qui ne reste plus opposée à l’élément intérieur, que doit être représentée l’individualité spirituelle, non encore comme vivante, c’est-à-dire retournée au centre de l’individualité spirituelle, mais comme forme extérieure et visible. L’esprit est fondu avec elle, mais sans paraître se dégager de cette extériorité pour se replier sur lui même comme esprit.

Ici se précisent les deux points déjà indiqués plus haut. La sculpture, au lieu de se servir, pour son mode d’expression, de représentations symboliques qui se bornent à indiquer l’esprit, emploie la forme humaine qui le manifeste réellement. Mais, comme représentation de l’ame privée de passion et de sentiment déterminé, elle peut d’autant mieux se contenter de l’extérieur de la forme humaine en elle-même, dans laquelle l’ame est comme répandue sur tous les points. Telle est aussi la raison pour laquelle la sculpture ne représente pas l’esprit en action, dans une succession de mouvements ayant un but déterminé, ni engagé dans des entreprises et des actions qui manifestent un caractère. Elle le présente, en quelque sorte, restant objectif, et par conséquent, de préférence dans une attitude calme, ou lorsque le mouvement et le groupement n’indiquent qu’un premier commencement d’action. Mais elle se garde bien de représenter l’ame entraînée dans toutes les collisions, les luttes intérieures ou extérieures, ou se développant dans une multiplicité d’actions extérieures. Aussi, par cela même que la sculpture offre à nos yeux l’esprit absorbé dans la forme corporelle destinée à le manifester par son ensemble, il lui manque le point essentiel où se concentre l’expression de l’ame comme ame, le regard de l’œil, ainsi que nous le ferons voir avec plus de développement dans la suite. D’un autre côté, comme la sculpture n’a pas pour objet l’individualité qui se particularise, qui se déploie dans une multiplicité d’actions, elle n’a pas non plus besoin, pour son mode de représentation, comme la peinture, de la magie des couleurs qui, par la finesse et la variété de leurs nuances, sont propres à exprimer toute la richesse des traits particuliers du caractère et à manifester l’ame tout entière avec tous les sentiments qui l’agitent. Encore moins lui est-il nécessaire de manifester ce qui se passe dans ses intimes profondeurs, par le regard de l’œil. La sculpture ne doit pas admettre les matériaux dont elle n’a pas encore besoin au degré particulier où elle s’arrête. Elle n’emploie, par conséquent, que la forme et les dimensions totales du corps, non les couleurs de la peinture. L’image façonnée par la sculpture est, dans sa totalité, d’une seule couleur, de marbre blanc, par exemple ; elle n’offre aucune variété de couleurs. De même aussi, les métaux sont à son service, cette matière première, uniforme, identique à elle-même, qui offre comme l’aspect d’une lumière ruisselante, sans opposition ni harmonie de couleurs.

C’est une chose qui montre le grand sens et le génie des Grecs que d’avoir saisi ce point et d’avoir su le maintenir. À la vérité, la sculpture grecque, à laquelle nous devons surtout nous arrêter, nous offre aussi bien des exemples de statues de diverses couleurs, ; mais d’abord, il faut distinguer le commencement et la fin de l’art de ce qu’il a produit à l’époque de sa plus haute perfection. Pareillement, nous devons écarter ce qui a été introduit dans l’art par l’élément traditionnel ou religieux et ne lui appartient pas en propre. Nous l’avons déjà vu en parlant de l’art classique en général, il ne représente pas immédiatement et complètement l’idéal, quoique celui-ci constitue son caractère fondamental, il est obligé d’écarter d’abord beaucoup d’éléments qui lui sont étrangers. Il en est de même de la sculpture ; elle doit parcourir plusieurs degrés antérieurs avant d’atteindre à sa forme définitive, et ses commencements sont très-différents du haut point de perfection où elle est parvenue plus tard. Les ouvrages de l’ancienne sculpture sont de bois peint ; telles sont les idoles égyptiennes ; on en trouve aussi de pareilles chez les Grecs. Mais on doit exclure de semblables objets de la sculpture proprement dite, lorsqu’il s’agit de déterminer son idée fondamentale. On ne peut donc nier qu’il ne se présente plusieurs exemples de statues peintes ; mais plus le goût artistique se développe, plus la sculpture « se débarrasse du luxe des couleurs qui ne lui convient pas. Vêtue de blanc, elle ne se servit au contraire de la lumière et des ombres qu’afin de donner à ses œuvres, plus de douceur et de calme, et de répandre sur elles une clarté bienfaisante pour les yeux du spectateur.[2] » Contre l’uniformité de couleur do marbre, on peut objecter, sans doute, non seulement les nombreuses statues d’airain, mais bien plus encore les plus grands et les plus beaux ouvrages qui, comme par exemple le Jupiter de Phidias, étaient de diverses couleurs. Mais il n’est pas question ici de l’absence de couleur considérée d’une manière aussi abstraite et aussi absolue. D’abord, l’ivoire et l’or ne sont encore nullement remploi des couleurs de la peinture, Ensuite, les divers ouvrages d’un art particulier ne maintiennent pas toujours, dans la réalité, l’idée fondamentale dans une aussi stricte invariabilité ; ils sont obligés de se prêter d’une manière plus vivante à des fins diverses ; ils ont un local différent, et par-là s’harmonisent avec des circonstances extérieures qui, dès-lors, modifient leur type propre. Ainsi, les images de la sculpture étaient souvent faites d’une matière riche comme l’or et l’ivoire ; en outre, elles étaient assises sur des sièges magnifiques, ou reposaient sur un piédestal lui-même façonné avec art et où le luxe avait déployé ses prodigalités ; elles avaient des ornements précieux, afin que le peuple, en contemplant des ouvrages d’une telle magnificence pût, en même temps, jouir du spectacle de sa puissance et de sa richesse. La sculpture, en particulier, par cela même qu’elle est un art plus simple, ne se renferme pas dans cette simplicité abstraite ; elle apporte d’abord avec elle beaucoup d’accessoires qui tiennent à l’élément traditionnel et stationnaire, au local, aux origines. D’un autre côté, elle fait beaucoup de concessions aux besoin d’originalité qui caractérise l’esprit populaire. Car l’homme de la vie active demande une variété qui réjouisse l’œil ; il veut qu’on occupe ses sens et son imagination sous plusieurs aspects. Il en est ici comme de la lecture des tragédies grecques, qui ne nous donne aussi l’œuvre d’art que dans la forme abstraite. Dans la réalité, à la pièce s’ajoute la représentation par des acteurs vivants, le costume, les décorations scéniques, la danse et la musique. De même aussi, l’image de la sculpture, dans sa réalité extérieure, ne manque pas d’accessoires variés. Mais nous avons ici seulement à nous occuper de l’œuvre de la sculpture en elle-même ; ensuite, ces côtés extérieurs ne doivent pas nous empêcher de comprendre l’idée la plus intime de la chose, dans son caractère de simplicité et d’abstraction.


Si maintenant nous passons à une division plus précise de cette section, la sculpture forme si bien le centre de l’art classique, que nous ne pourrons ici, comme dans l’étude de l’architecture, chercher des différences essentielles dans les formes symbolique, classique et romantique, et en faire le principe de notre division. La sculpture est l’art proprement dit de l’idéal classique ; elle a, sans doute, aussi ses époques. Ainsi elle est marquée du caractère symbolique, en Égypte, par exemple. Cependant ce sont là des développements historiques et nullement des différences qui affectent l’idée même de la sculpture dans son essence. Ces représentations, par leur mode d’érection et leur destination, se rattachent plutôt à l’architecture, qu’elles n’appartiennent au but propre de la sculpture. De même, si la forme romantique de l’art s’exprime en elles, c’est que la sculpture se dépasse elle-même. Elle ne retrouve son type véritablement plastique qu’avec le retour à la sculpture grecque. Nous devons, par conséquent, chercher un autre mode de division.

Le point central de notre étude sera, ainsi qu’il a été dit, la manière dont la sculpture atteint à l’idéal classique et le réalise parfaitement. Mais avant que nous puissions arriver à ce degré de développement de l’idéal, dans les représentations de la sculpture, nous avons à montrer quels sont et le fond et la forme qui conviennent en propre à la sculpture, comme art particulier, et qui l’ont conduite à représenter l’idéal classique sous la forme humaine pénétrée par l’esprit et avec les simples dimensions de l’étendue. D’un autre côté, l’idéal classique s’appuie, sans doute, sur l’individualité substantielle, mais en même temps particularisée en soi. De sorte que la sculpture ne prend pas l’idéal de la forme humaine en général, comme fond de ses représentations, mais l’idéal déterminé, et par là elle se développe dans des modes divers de représentation. Ces différences concernent en partie la conception et la représentation elles-mêmes, mais en partie aussi les matériaux par lesquels la conception se réalise. Ce qui, en raison des divers modes d’exécution, introduit dans l’art lui-même de nouvelles distinctions, auxquelles correspondent alors, comme dernières divisions, les degrés du développement historique de la sculpture.

En vertu de ces rapports, nous adopterons, dans cette étude, la marche suivante :

1o Nous nous occuperons d’abord simplement des caractères généraux qui tiennent à la nature essentielle du fond et de la forme, et qui résultent de l’idée même de la sculpture ;

2o Nous aurons à exposer ensuite en quoi consiste l’idéal classique, en tant que celui-ci parvient à la réalisation parfaite dans la sculpture ;

3o Enfin la sculpture, dans son développement, nous offre des modes différents de représentation et emploie diverses espèces de matériaux ; elle produit tout un monde d’ouvrages et de figures, dans lequel se font remarquer, en quelque sorte, à droite et à gauche, les formes symbolique et romantique de l’art, tandis que le classique constitue le vrai milieu plastique.

  1. Le côté matériel et visible. C. B.
  2. Meyer, Hist. des Arts du Dessin chez les Grecs, t. 1, p. 119.