Système des beaux arts/I/III/III

Texte établi par Ch. Bénard,  (p. 151-157).

III. Des différents genre d’Architecture romantique


Le dernier point, sur lequel j’ajouterai encore quelques mots, regarde les principales formes dans lesquelles s’est développée l’architecture romantique, quoiqu’il ne s’agisse ici, en aucune façon, de donner une histoire de cette branche de l’art.

Il faut bien distinguer de l’architecture gothique, telle que je l’ai décrite plus haut, ce qu’on appelle l’architecture romane, qui a son origine dans l’architecture romaine. La plus ancienne forme des églises chrétiennes rappelle celle des basiliques, puisque primitivement elles n’étaient autres que ces édifices publics de l’époque impériale, de grandes salles oblongues avec un comble en bois, telles que Constantin les abandonna aux chrétiens. Dans ces salles se trouvait une tribune. Lorsque les fidèles se réunissaient pour le service divin, le prêtre s’y plaçait pour chanter, pour parler ou pour lire ; ce qui peut avoir donné l’idée du chœur. L’architecture chrétienne emprunta, de la même manière, à l’architecture classique, les autres formes, comme, par exemple, l’usage des colonnes avec des pleins cintres, les rotondes et tout le mode d’ornementation, particulièrement dans l’empire romain d’Occident. Dans celui d’Orient, on paraît aussi être resté fidèle même genre d’architecture jusqu’au temps de Justinien. Et, en même temps, ce qui fut bâti en Italie par les Ostrogoths et les Lombards conserva, dans les parties essentielles, le caractère fondamental du style romain. — Dans l’architecture postérieure de l’empire byzantin, s’introduisirent plusieurs changements. Le centre, est marqué par une rotonde supportée par quatre piliers et à laquelle s’adaptent ensuite différentes constructions pour les usages particuliers du rite grec, différent du romain. Mais il ne faut pas confondre avec cette architecture, particulière à l’empire byzantin, celle que Ton désigna par la dénomination générale d’architecture Byzantine et qui fut employée en Italie, en France, en Angleterre et en Allemagne jusqu’à la fin du douzième siècle.

C’est au treizième siècle que se développa l’architecture gothique sous sa véritable forme, celle dont nous avons indiqué plus haut les principaux caractères. De nos jours, on a nié qu’elle nous vint des Goths, et on l’a appelée allemande ou germanique. Nous pouvons néanmoins conserver l’ancienne dénomination qui est plus usitée. En Espagne, en effet, se trouvent des traces très anciennes de cette architecture, et qui indiquent un rapport avec les événements historiques, puisque les rois goths, refoulés dans les montagnes de l’Asturie et de la Galice, s’y maintinrent indépendants. Par là, sans doute, une affinité intime entre l’architecture gothique et l’architecture arabe paraît vraisemblable. Cependant, elles sont essentiellement distinctes. Car le trait caractéristique de l’architecture arabe du moyen âge n’est pas l’ogive, mais ce qu’on appelle le fer à cheval. Et, d’ailleurs, des édifices qui sont destinés à un tout autre culte nous offrent une richesse et une magnificence orientales, des ornements semblable, à des plantes, et d’autres décorations où se mêlent extérieurement le style romain et celui du moyen âge.

Parallèlement à ce développement de l’architecture religieuse, apparaît aussi l’architecture civile, qui reproduit, en le modifiant, de son point de vue, le caractère des monuments religieux. Mais, dans l’architecture civile, l’art a encore une carrière peu étendue, parce qu’ici des fins bornées, ainsi qu’une multitude de besoins, réclament une satisfaction plus précise, et ne laissent le champ libre à la beauté que dans les décorations. Outre l’eurythmie générale des formes et des proportions, l’art ne pourra bien se montrer que dans la décoration des façades, des escaliers, des fenêtres, des portes, des pignons, des tours, etc. ; de telle sorte, toutefois, que le but d’utilité reste le principe déterminant et dominant. Au moyen âge, c’est principalement l’habitation fortifiée, le château fort, qui apparaît comme le type principal, non seulement sur des hauteurs isolées et des collines escarpées, mais aussi dans les villes, où chaque palais, chaque habitation principale d’une famille, en Italie, par exemple, prenait la forme d’une petite forteresse ou d’un château. Les murs, les portes, les tours, les ponts^levis sont ici déterminés par le besoin, ci sont seulement ornés et embellis par l’art. La solidité, la sûreté de défense, jointes à la magnificence grandiose, à l’individualité vivante des formes particulières et à leur harmonie, constituent ici le caractère essentiel de ce genre, dont la description nous mènerait trop loin.


Comme complément, enfin, nous pouvons encore mentionner brièvement l’art des jardins. Cet art, non seulement crée autour de l’homme une seconde nature destinée à son agrément; il attire aussi dans son cercle, en les façonnant toutefois, les paysages de la nature, et les traite selon les règles de l’architecture, comme servant d’entourage à des édifices. Je me contenterai de citer ici, pour exemple, la terrasse tout-à-fait grandiose de Sans-Souci.

En ce qui touche l’art des jardins, proprement dit, nous pouvons parfaitement distinguer en lui l’élément pittoresque de l’élément architectural. Le genre du parc en effet, n’est pas, à proprement parler, architectonique. Il n’y a dans ces objets libres de la nature rien qui offre l’aspect d’une construction ; c’est un tableau qui laisse à ces objets leur caractère propre et s’efforce de reproduire la grande et libre nature. En effet ce qui nous plaît dans ce paysage, dont la mobile variété met sous nos yeux des rochers, avec leur grandes et rudes masses, des vallées, des bois, des prairies, des gazons, des ruisseaux qui serpentent, de larges fleuves, avec leurs rives animées, des lacs tranquilles, couronnés d’arbres, de bruyantes cascades, c’est que tout cela est réuni, resserré dans un même espace pour former un seul et même ensemble, C’est de cette façon que déjà l’art des jardins des Chinois présente des paysages entiers, avec des lacs et des îles, des rivières, des quartiers de rocher, etc. Dans de semblables parcs, surtout ceux de ces derniers temps, d’abord, tout doit conserver la liberté de la nature elle-même ; tandis que, d’un autre côté, celle-ci est travaillée et façonnée avec art, sous les conditions du terrain donné ; ce qui constitue un désaccord qui ne peut être complètement levé. Il n’y a, sous ce rapport, rien qui soit de plus mauvais goût que l’affectation, partout visible, de l’absence de but, qu’une pareille violence qui vient de l’arbitraire. Sans compter que le caractère propre de régularité qui doit être dans les jardins a disparu. Un jardin, en effet, a pour destination de servir à l’agrément de la promenade, à la conversation dans un lieu qui n’est plus la nature proprement dite, mais la nature façonnée par l’homme pour son propre usage, pour lui servir d’entourage, en un mot, dans un lieu arrangé par lui et pour lui. Un grand parc, au contraire. surtout, lorsqu’il est parsemé de petits temples chinois, de mosquées turques, de châtelets, de ponts, d’ermitages, que sais-je ? de toutes sortes de curiosités étrangères, prend déjà ainsi la prétention de fixer sur soi les regards ; on veut qu’il soit quelque chose, qu’il ait un sens par lui-même. Mais alors ce plaisir, qui est, en effet, bientôt satisfait, s’efface si vite que l’on ne peut, sans dégoût, regarder deux fois le même objet ; car cet ingrédient ne présente aux regards rien d’infini, rien qui exprime l’ame vivante de la nature ; et d’ailleurs, relativement à l’entretien, à la conversation dans la promenade, il n’est qu’une distraction ennuyeuse et importune.

Un jardin, comme tel, ne doit être qu’un agréable entourage et rien de plus ; il ne doit point se faire valoir lui-même, ni distraire l’homme de l’homme, le faire sortir de son intérieur. L’architecture, avec ses lignes géométriques, avec l’ordre, la régularité, la symétrie, a ici sa place ; elle arrange et dispose les objets de la nature eux-mêmes architectoniquement. L’art des jardins des Mongols, de l’autre côté de la grande muraille, dans le Thibet, les paradis de la Perse, se conforment davantage à ce type. Ce ne sont nullement des parcs anglais, mais des salles, avec des fleurs, des fontaines, des jets d’eau, des cours, des palais, où l’homme séjourne au sein d’une nature magnifique, grandiose, où tout est disposé avec prodigalité pour les besoins et la commodité de l’homme. Mais c’est surtout dans l’art français des jardins que le principe architectonique a été appliqué. Il est le complément ordinaire de la construction des grands palais ; il plante les arbres en grandes allées, dans une parfaite régularité, les taille, élève des murs et des haies, et transforme ainsi la nature elle-même en une vaste habitation sous un ciel libre.