Système des beaux arts/I/II/I

I. Caractère général de l’Architecture classique.


Nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, le caractère fondamental de l’architecture proprement dite consiste en ce que l’idée qu’elle exprime ne réside pas exclusivement dans l’ouvrage d’architecture lui-même, ce qui en ferait un symbole indépendant de l’idée, mais en ce que celle-ci, au contraire, a déjà trouvé son existence indépendante en dehors de l’architecture. Elle peut s’être réalisée de deux manières : soit qu’un autre art d’une portée plus grande (dans l’art classique c’est principalement la sculpture) ait façonné une image et une représentation de cette idée, soit que l’homme la personnifie en lui-même d’une manière vivante dans sa vie et ses actions. En outre, ces deux modes peuvent se trouver réunis. Ainsi, l’architecture des Babyloniens, des Indiens, des Égyptiens, représente symboliquement, dans des images qui ont une signification et une valeur propres, ce que ces peuples regardaient comme l’absolu et le vrai. D’un autre côté, elle sert à protéger l’homme, le conserve, malgré la mort, dans sa forme naturelle. On voit, dès lors, que l’objet spirituel est déjà séparé de l’œuvre d’architecture ; il a une existence indépendante y et l’architecture se met à son service. C’est lui qui donne au monument un sens propre et constitue son véritable but. Ce but devient aussi déjà le principe régulateur qui s’impose à l’ensemble de l’ouvrage, détermine sa forme fondamentale, son squelette, en quelque sorte, et ne permet ni aux matériau ni à la fantaisie ou à l’arbitraire de se montrer indépendamment de lui pour leur propre compte, ainsi que cela a lieu dans les architectures symbolique ou romantique. Celles-ci déploient en effet, en dehors de ce qui est conforme au but, un luxe d’accessoires et de formes aussi nombreuses que variées.

La première question qui s’élève au sujet d’une œuvre d’architecture de ce genre est précisément celle de son but et de sa destination, ainsi que des circonstances qui président à son élévation. Faire que la construction soit en harmonie avec le climat, l’emplacement, le paysage environnant, et, dans l’observation de toutes ces conditions, se conformer au but principal, produire un ensemble dont toutes les parties concourent à une libre unité, tel est le problème général dont la solution parfaite doit révéler le goût et le talent de l’architecte. Chez les Grecs, des constructions ouvertes, des temples, des colonnade et des portiques où l’on pouvait s’arrêter ou se promener pendant le jour, des avenues, comme le fameux escalier qui conduisait à l’Acropolis, à Athènes, étaient devenus le principal objet de l’architecture. Les habitations privées étaient d’ailleurs très simples. Chez les Romains, au contraire, apparaît le luxe des maisons particulières, des villas surtout ; de même que la magnificence des palais des empereurs, des bains publics, des théâtres, des cirques, des amphithéâtres, des aqueducs, des fontaines, etc. Mais de tels édifices, chez lesquels l’utilité reste le caractère dominant, ne peuvent toujours, plus ou moins, donner lieu à la beauté que comme ornement. Ce qui offre le plus de liberté, dans cette sphère, est donc le but religieux ; c’est le temps, comme servant d’abri à un objet divin, qui appartient déjà aux beaux-arts et a été façonné par la sculpture : à la statue du dieu.

Malgré ces fins qui lui sont imposées, l’architecture proprement dite paraît maintenant plus libre que l’architecture symbolique du degré antérieur, qui empruntait à la nature ses formes organiques, plus libre même que la sculpture qui est forcée d’adopter la forme humaine telle qu’elle lui est offerte, de s’attacher à ses proportions essentielles ; tandis que l’architecture classique invente elle-même son plan et sa configuration générale, d’après un but tout intellectuel. Quand à la forme extérieure, elle ne consulte que le bon goût, sans avoir de modèle direct. Cette plus grande liberté doit, en effet, lui être accordée, sous un rapport. Cependant son domaine reste limité, et un traité sur l’architecture classique, à cause de la rigueur mathématique des formes, est en général quelque chose d’abstrait où la sécheresse est inévitable. Frédéric de Schlegel, a appelé l’architecture une musique glacée. Et, en effet, ces deux arts (l’architecture et la musique) s’appuient sur une harmonie de rapports qui se laissent ramener aux nombres et, par là, sont facilement saisissables à l’entendement dans leurs traits essentiels. Le type qui sert de base au plan général, et à ses rapports simples, sérieux, grandioses, ou agréables et sérieux, est, ainsi que nous l’avons dit, donné par la maison. Ce sont des murs. des colonnes, des poutres, disposés selon des formes aussi géométriques que celles du cristal. Maintenant, quant à la nature de ces rapports, ils ne se laissent pas ramener à des caractères et à des proportions numériques d’une parfaite précision. Mais un carré long, par exemple, avec des angles droits est plus agréable à l’œil qu’un simple carré ; parce que, dans une figure oblongue, il y a dans l’égalité une inégalité. Par cela seul que Tune des dimensions, la largeur est la moitié de l’autre, la longueur, elle offre déjà un rapport agréable. Une figure étroite et longue, au contraire, est peu gracieuse. Là, en même temps, doivent être conservés les rapports mécaniques entre ce qui supporte et ce qui est supporté, selon leur vraie mesure et leur exacte proportion. Ainsi, une lourde poutre ne doit pas reposer sur une élégante, mais frêle colonne ; et, réciproquement, on ne doit pas faire de grands frais de supports, pour soutenir, en définitive, un poids léger. Dans tous ces rapports, dans celui de la largeur à la longueur et à la hauteur de l'édifice, de la hauteur des colonnes à leur épaisseur, dans les intervalles, le nombre des colonnes, le mode, la multiplicité ou la simplicité des ornements, la grandeur des filets et des bordures, etc., domine chez les anciens une eurythmie naturelle, qu’a su trouver principalement le sens plein de justesse des Grecs. Ils s’en écartent bien, ça et là, dans les détails ; mais, dans l’ensemble, les rapports essentiels sont observés et ne sortent jamais des conditions de la beauté.