Système des Beaux-Arts/Livre septième/7

Gallimard (p. 258-260).

CHAPITRE VII

DU COSTUME

Sans traiter encore du nu, on peut décider que le nu ne convient pas à toutes les statues ; car le nu n’est supportable que jeune. Il faut donc examiner quel costume convient le mieux à l’œuvre du sculpteur. Et, là-dessus, on peut distinguer deux espèces de costumes, l’un étant de cérémonie pour la conversation étudiée, et l’autre de commodité pour l’action. Ce dernier costume fut celui des serfs en tous temps, et est maintenant celui de presque tous, en ce temps de dangereuses mécaniques. Or l’esprit du costume, comme on l’a vu, est d’effacer ce qui est surtout animal, de composer et modérer les gestes, et de ramener enfin toute l’attention comme toute l’expression au visage. La condition de tout portrait, en peinture comme en sculpture, est de suivre ici l’esprit du costume. Or, sous ce rapport, le défaut du costume moderne et de ne point soutenir assez l’attitude, mais au contraire de s’y prêter, et de prendre, comme on dit si bien, de mauvais plis. Il est de consentement qu’une draperie à l’antique est plus aisément belle dans le marbre que ne peut être une veste ou un pantalon. Or la différence entre le pli antique et le pli moderne, c’est que le pli antique retombe sur la forme et la recouvre, toutes les lignes s’accordant alors pour rappeler l’esprit du costume et détourner l’attention de toutes les faiblesses du corps ; au lieu que le pli moderne suit l’action, et même en conserve la trace, en sorte qu’il y a aisément de la bonhomie dans le costume moderne, mais difficilement de la majesté. Et la sculpture, comme il a été dit, ne se plaît pas à l’anecdote ni aux petits traits. Il faut que l’homme y soit simplifié et grandi, homme essentiellement, et toujours pensant. Comment ces conditions s’accordent avec le nu, cela sera examiné ; mais il est bien sûr qu’elles s’accommodent mieux de la toge antique que de tout autre costume.

Il faut comprendre ici que le costume, même apprêté, montre souvent un mensonge de cérémonie, de même que le rouge, la poudre, les yeux ombrés et enfin tous les artifices de toilette dont la sculpture ne s’occupe jamais. Un corset redresse l’attitude, ce qui fait voir à la fois les atteintes de l’âge et un souci de l’opinion qui ne s’accorde guère avec le regard propre aux statues, et qui ne voit point le spectateur. Certes tout n’est pas ridicule dans le souci de paraître, et de profonds sentiments peuvent s’accorder avec la parure, qui par un côté est toujours politesse, et même souci de régler les dehors d’après la jeunesse du cœur, ce qui est assez beau. Mais ce genre de style n’appartient pas à la sculpture. Les artifices par lesquels on voudrait paraître plus grand, plus fort, ou plus grave, y seraient peut-être moins étrangers, tels le casque à grand panache, ou le hausse-col, ou la fraise ; mais l’homme s’y montre encore en cérémonie ou tout au moins en société. Leur objet est de régler le dehors sur les vertus du commandement dont le visage achèvera de répondre. Mais pourquoi sculpter les modèles du peintre ? Chaque art a sa puissance propre d’après ses moyens propres. Une statue est solitaire, qu’on le veuille ou non.

Les modernes n’ont pas assez séparé la pensée de l’action, peut-être ; et leurs discussions sont des combats, ce qui, à bien regarder, explique assez ce qu’il y a de folie dans leurs opinions. La toge des anciens, si différente du vêtement de bataille, était un bel avertissement. Le jeune homme qui la prenait se séparait des grâces de l’enfance. L’homme qui la reprenait s’enfermait de nouveau dans la sagesse juridique, pour qui vaincre n’est pas le tout. Ici l’homme cache aux autres ses propres tumultes, dans le dessin de les apaiser. Il se renferme, non pour tromper, mais pour ne pas se tromper. La toge couvrait même le visage, dans les grandes afflictions. On cite le trait sublime de ce peintre ancien qui ne sut représenter la douleur d’un père que par une figure ainsi voilée. Ce mouvement n’est-il pas une défense aussi contre soi ? Ne nous trompons pas sur les douleurs voilées ; il faut qu’elles pensent. Cette pudeur des sentiments ne s’est point perdue. Mais le propre des anciens, il me semble, était de prendre les mêmes précautions contre les passions moins cruelles, mais tout autant convulsives, qui naissent en toute société dès que le mouvement des pensées se traduit en actions. Ce désordre est trop visible dans notre éloquence, privée comme publique. Mais il est rare que l’on soit ici, spectateur ; aussi ce désordre ne m’apparut que sous les traits d’un orateur de marbre en costume d’ouvrier. Ainsi, dans les statues, comme dans un miroir, voyons-nous mieux la raison et la folie, sous l’aspect du beau et du laid. Et puisqu’ainsi le marbre est juge, c’est la toge qui lui convient encore le mieux.