Système des Beaux-Arts/Livre neuvième/8

Gallimard (p. 334-336).

CHAPITRE VIII

DE LA CARICATURE

Il y a des ridicules qui viennent de timidité, dans la marche, dans l’attitude, dans le costume, dans la coupe de la chevelure, de la barbe, de la moustache. Et il y a une imitation facile de ces choses, qui donne aussitôt la ressemblance. Faisons attention aussi que ces apparences offrent souvent une expression assez frappante, et qui trompe ; non pas toujours sur l’humeur, car chacun joue son personnage, mais sur le fond de nature, qui s’exprime d’autre façon. La laideur, comme la rougeur, se montre en voulant se cacher. Ainsi on reconnaît mal parce que l’on connaît mal. L’artiste efface d’abord ces apparences, et déjà par l’exactitude du dessin, car un grand nez n’est jamais si grand, ni un petit front si petit ; bref, il est peu de visages qui ne gagnent à être fidèlement dessinés, sans recherche d’expression ni de ressemblance. Un beau portrait agit d’abord contre ces petites passions qui gâtent la vie familière. Et je crois que principalement les enfants, qui grossissent naturellement ce qui est humeur, voient presque toujours mal leurs parents et leurs maîtres. Or cette mauvaise ressemblance est justement ce que le dessin saisit dès qu’il vise à l’expression, car il n’exprime que par le mouvement et le trait. Aussi cette facilité à saisir, dans une nature d’homme, tout ce qui est rapport extérieur trompe souvent l’apprenti et aussitôt le punit, par cette conséquence que plus la ressemblance ainsi obtenue étonne, moins elle donne à penser. Un genre de dépit se laisse voir dans ce dessin intempérant, si profondément lié, de toutes façons, à l’envie. Au reste, par les mêmes causes, l’anecdote dessinée ou peinte est toujours un peu caricature. La caricature serait donc la vengeance d’un mauvais peintre.

La vulgarité est dans ces expressions sans mesure et en quelque sorte mécaniques, comme cet air de dégoût ou de mépris, ou bien d’attention ou de contentement, qui déforment à la fin le visage, et que l’on porte comme des lunettes ou une longue barbe. Et ces ridicules sont les moyens préférés de la mauvaise comédie. Mais le vide de la caricature apparaît mieux, par le caractère abstrait du dessin. On ne peut s’empêcher de penser ici à cet art d’imiter, si commun, mais vide aussi de contenu. Il n’est pas d’acteur, d’orateur ou de chef qui ne soit imité assez bien ; ce genre de moquerie ne conduit à rien et n’éclaire rien. La grande comédie, comme on l’a expliqué, vise bien plus haut ; c’était bien l’esprit de Socrate qu’Aristophane mettait sur la scène.

Il ne faut donc point se hâter de rapprocher le dessin satirique de l’art comique. La vraie comédie n’use point des difformités pour faire rire. Pierrot n’est point difforme, et Polichinelle l’est assez pour que l’artifice soit visible. Les comiques du cirque, toujours fidèles aux bonnes traditions de l’ancienne comédie, sont lestes et bien bâtis, et finissent toujours par le montrer. Je crois même que leur accoutrement et les taches de couleur qui les rendent méconnaissables ont pour fin de cacher le visage humain, plutôt que de le déformer. De même nous voyons que, dans la haute comédie, il y a toujours quelque chose de leste et de sain, oui même dans Sganarelle et Harpagon. On ne supporterait pas de les voir réellement impotents. Les acteurs savent bien qu’il ne leur est pas permis de vieillir, même s’ils représentent des vieillards. Arnolphe est ridicule par l’âge seulement, non par la laideur ou la maladie. Si Alceste était moins beau que les marquis, les tromperies de Célimène n’appartiendraient plus à l’art comique. Ce qui est visé enfin par ce qu’il faudrait appeler le comique généreux, c’est bien un mauvais usage du libre arbitre, ce qui suppose d’abord un corps sain et équilibré. C’est l’erreur enfin qui nous fait rire, et non point les disgrâces physiques. Et, puisque la caricature les grossit encore et les fixe, il n’y aurait donc jamais de vrai comique dans ce genre de dessin, mais toujours la moquerie triste, et au fond la méchanceté et l’amertume, comme Balzac l’a bien montré dans son Bixiou. Mais c’est trop parler, peut-être, d’un art de mépriser tout, dont justement les belles œuvres nous guérissent. Toutefois, autant que ces remarques font apercevoir de nouveau les limites du dessin, les vraies fins de la peinture, et même l’esprit de ce bel art comique, toujours soucieux de ne point déshonorer la forme humaine, il n’était pas inutile de les proposer.