Sur talons rouges, contes/Les fantaisies de Vespasien

LES FANTAISIES DE VESPASIEN


Il est habillé de dentelles et de brocarts. Son gilet, ses culottes et ses bas sont en soie de Chine, son habit en velours de Gênes. Tous ces beaux atours ont coûté fort cher et sortent du premier faiseur de Paris. On l’admire au Palais-Royal. Il ne quitte plus la Vicomtesse de Valfleuri, et, ma foi, les bonnes âmes en jasent. Ses bras sont invariablement noués autour du cou de cette belle convoitée. Il la regarde dans le blanc des yeux, avec des prunelles ardentes, un peu trop ardentes. Ses petites mains soignées caressent les épaules rondes et soyeuses de la Vicomtesse, et lorsque ses doigts ont longtemps frôlé sa peau blanche au grain divin, si divin qu’il sent ses vertèbres en frissonner, il rit de plaisir, et c’est un rire spécial qui décèle le comble de son transport.

Il a de fort belles manières, et ses allures, quoique mièvres, sont de bon ton.

C’est vraiment dommage qu’une longue queue nerveuse aux mouvements bizarres et capricieux le trahisse. Hélas ! C’est le sapajou de la Vicomtesse. Mais sans cette queue, il eût passé pour le plus charmant des Mignons vêtu à la Philippe d’Orléans.

On l’appelle Vespasien, parce qu’il n’est pas très propre. C’est là son seul défaut. Ses oublis lancinants exaspèrent les servantes de sa maîtresse, mais sa maîtresse a pour lui toutes les indulgences. C’est délicieux un sapajou ! Et puis, après tout, ce nom de Vespasien qui lui sied à merveille, l’auréole de quelque chose de pompeux et n’a rien d’inconvenant.

La Vicomtesse de Valfleuri dansait chez le Régent. Son entrée fut sensationnelle, car elle apparut telle une vallée de fleurs et les nobles de la Cour l’acclamèrent.

Le Duc de Lavoyeur s’approcha d’elle en sautillant. Il se courba avec cette grâce qui renferme à la fois les mœurs honnêtes et malhonnêtes du temps. Il avait dans son allure les essences nécessaires pour camper un galant seigneur et un seigneur galant. Cette allure plut à la Vicomtesse. Elle fondit en une révérence qui mit en relief ses seins éblouissants, un peu martyrisés dans le grand décolleté de son corsage. Mais cette souffrance embellit les formes opulentes, car il est doux de souffrir pour être belle.

— Et Vespasien, très chère ?

— Le tendre amour ! Il repose dans son berceau de fanfreluches vaporeuses. Il dort sur son matelas ouaté. Sa petite tête s’abandonne sur un oreiller d’Alençon et ses petites mains dépassent les couvertures roses et les draps de batiste. Je l’ai embrassé avant de me rendre au bal. Il était trop joli !

Le Duc esquissa un sourire attendri et porta à ses yeux un binocle subtilement ciselé, enjolivé d’émaux et de perles fines.

Les musiciens attaquèrent un menuet de Lulli, le Duc arrondit un peu le bras, la Vicomtesse y appuya sa main blanche et tous deux s’avancèrent vers la salle des danses.

Tandis qu’ils dansaient, le Régent, du haut de son trône, délectait son regard en suivant les attitudes coquettes de la Vicomtesse, mais la grâce un peu efféminée du Duc ne cessa point non plus de le charmer.

— Et Vespasien ?

— Je vous ai dit, très cher, qu’il se porte à merveille.

— Est-il gai ?

— Oui, mais sa gaîté est factice. Il souffre de l’ennui, comme sa maîtresse.

— Oh Vicomtesse !

— Mon Dieu, vous plaisantez sur toutes choses.

— En ce cas, daignez m’accorder votre pardon ; en retour recevez, avec mes supplications, mon hommage fidèle.

— Je vous en dispense, les excuses sont toujours peu flatteuses et font croire que l’adversaire condescend à désarmer, par grandeur d’âme.

Et les propos avaient l’élégance des répliques de Lulli.

— Et Vespasien ?

— Encore ?… Je vous ai dit qu’il s’ennuie. Il est charmant de drôleries et de tours imprévus, mais c’est pour étourdir sa mélancolie obstinée. N’est-ce point pour cela que je viens aussi au bal ?

— Cruelle !

— Pourquoi mentir ?

— Ne sauriez-vous mentir pour réjouir un malheureux et pour sauver une âme meurtrie ?

Le Duc coula un regard fléchissant et fripon sur la gorge de la Vicomtesse.

— Oh !… qu’avez-vous là un peu à droite sur votre sein… ces deux petites marques rouges ?

Elle baissa les yeux, se cacha tout entière derrière son grand éventail de Malines, pour faire croire qu’elle rougissait fort. Ce mouvement épousait si bien du menuet mineur la candide pudeur.

— C’est… murmura-t-elle, Vespasien… dans un accès de douloureux transports… Il est si malheureux, pauvre amour…

Sur le dernier accord de la danse, ils s’estompèrent dans une profonde révérence, comme la vision de deux charmants esprits d’un opéra de Quinault. Puis ils reparurent en s’approchant l’un de l’autre, et se dirigèrent d’une démarche un peu hautaine vers la salle de festin.

Le charme était rompu.

— Le Vicomte de Valfleuri vous mande-t-il toujours d’heureuses nouvelles ?

— Oui, la guerre l’amuse fort. Vous savez qu’il est d’humeur batailleuse. Notre armée est victorieuse et ces victoires l’enivrent au point que son style à mon égard me paraît un peu froid. Il m’oublie… et la solitude me rend nerveuse.

— Est-ce de la jalousie ?

— Oh, non point… un besoin d’hommages et de tendresses dont son absence me prive. Je souffre comme Vespasien.

— J’en suis profondément chagrin… et ce besoin d’hommages, car plus loin, je n’ose espérer…, puis-je me croire assez favorisé pour que vous m’accordiez de vous offrir les miens ?

La musique reprit. Le Régent fit dire au duc de Lavoyeur qu’il aurait du plaisir à le voir danser encore avec la Vicomtesse de Valfleuri et qu’après cette gavotte, il serait charmé que tous deux daignassent souper à sa table.

La soirée quoique interminable fut des plus brillantes.

Autant que le permirent leurs hauts talons, elles entrèrent toutes deux sur la pointe des pieds.

Dorine s’inclina devant le lit de sa maîtresse, Martine en fit autant.

— Madame la Vicomtesse a-t-elle bien reposé ?

— Madame la Vicomtesse veut-elle un peu de jour ?

— Madame la Vicomtesse s’est-elle plue hier au bal ?

— Madame la Vicomtesse fut-elle vivement admirée ?

Mme la Vicomtesse faisait de grands signes de silence.

— Chut ! Ne le réveillez pas, gredines… Faites donc moins de bruit… Oui ! Ouvrez tout doucement les persiennes.

Les servantes obéirent.

Toutes les persiennes volèrent en même temps.

Un soleil troublant envahit la chambre. C’était de la lumière, de la beauté, de la chaleur… et peut-être encore mille petites choses enchevêtrées, entrelacées, difficiles à démêler et à comprendre. Mais ce soleil semblait philtrer un délicieux venin.

— Oh ! laissez les fenêtres ouvertes. Il fait si doux !

La Vicomtesse s’appuya sur un coude et de son lit, se pencha vers le berceau de fanfreluches vaporeuses.

Vespasien avait les yeux grands ouverts. Il fixait le soleil et se démenait avec frénésie sous ses couvertures roses et ses draps de batiste. La Vicomtesse de sa poitrine haletante poussa d’alarmantes lamentations.

— Oh ! mon chéri, Calme-toi, Calme-toi. Je t’en supplie… Arrête-le dans ses transes, Dorine, et toi, Martine, donne-lui une amande douce… Il sera encore aujourd’hui dans son état de prostration habituelle…

Les servantes obéirent et accoururent sans entrain.

Leur maîtresse poussa un profond soupir.

— Que faire ?… Sa tristesse me tuera.

Vespasien griffa Dorine et mordit Martine. Elles poussèrent des cris perçants et essuyèrent leurs larmes avec leur petit tablier de dentelles.

La Vicomtesse alors, sans hésiter, tendit son bras vers le berceau. Vespasien s’y accrocha de ses quatre membres en roulant des yeux qui firent baisser ceux de sa maîtresse.

Elle le caressa de l’autre main et le coula dans son lit.

Il s’assit à côté d’elle avec un petit air de supériorité satisfaite et battit des mains.

— Vous voyez, gredines, qu’il meurt de faim. Vite le déjeuner. Allons, ne chiffonnez pas vos tabliers de la sorte et allez nous chercher de quoi nous remettre après une nuit de jeûne.

Elles sortirent et revinrent apportant le chocolat de la Vicomtesse et les noisettes de Vespasien.

La Vicomtesse but son chocolat comme boivent les vicomtesses à huis clos, c’est-à-dire sans minauderies, sans coquetterie, toute à son affaire de gourmandise.

Vespasien croqua les noisettes et jeta les coquilles entre les seins des servantes. Elles avaient ordre de se tenir droites au pied du lit et de ne pas broncher.

La Vicomtesse riait aux éclats.

— Bravo, Vespasien. Bien au milieu, plus fort ! Bravo, mon petit franc-tireur, mon petit mousquetaire énamouré.

Et dans un accès de tendresse, elle le serra convulsivement dans ses bras en le couvrant de baisers. Vespasien se laissa faire et clignota des paupières avec ravissement.

— Mon petit chérubin.

Le cartel sonna 11 heures.

— Mon Dieu, qu’il est tard !… Allons, secouez-vous, fainéantes. Vite, mon saut de lit.

La Vicomtesse coucha le sapajou sur son oreiller et passa le large déshabillé que lui tendait Martine. Dorine avança un lourd fauteuil en bois massif. La Vicomtesse s’y laissa choir. Vespasien bondit sur la petite liseuse, souleva le couvercle d’une petite boîte en vernis Martin et s’y assit. C’était peut-être par esprit d’imitation. Bref, c’était son premier lancinant oubli de la journée.

La Vicomtesse trouva ce tour fort spirituel et passa dans son cabinet de toilette, suivie de Martine.

Dorine, furieuse, la main levée, s’élança vers le singe. Il eut juste le temps de grimper sur le baldaquin du lit, le long des rideaux de taffetas. La porte était fermée. Elle était sûre que sa maîtresse ne pouvait entendre le bruit de la bataille et les cris stridents de Vespasien.

— Polisson ! Ici, polisson, que je te batte… que je te roue de coups.

Et Vespasien courait, bondissait de meubles en tentures. Il sauta sur la tringle de la fenêtre et pour défier la servante, se suspendit par la queue en se balançant voluptueusement aux rayons du soleil.

Dorine criait… et lui paisiblement secouait ses puces.

Exaspérée, exacerbée, elle retira sa mule du pied et visa. Vespasien eut peur ! La mule venait vers lui… Pour l’esquiver, un seul salut possible… bondir par la fenêtre ouverte…

Qu’il fait bon s’alléger de quelques puces parmi les feuilles fraîches et frissonnantes par un troublant soleil de beauté et de langueur !

Quand il reprit un peu ses sens, après cet instant vague de ravissement et d’extase que lui causait cette belle journée d’enivrante tiédeur, il dressa l’oreille. Du côté de l’hôtel il entendait des cris désespérés. Tout le train de maison de la Vicomtesse était aux fenêtres, l’invoquant avec des accents tour à tour courroucés, séducteurs et suppliants. Les laquais, les marmitons, le chef, le maître d’hôtel, les servantes criaient :

— Vespasien… Vespasien…

On lui tendait des noisettes, des noix de coco, des amandes, des pommes, des ananas, des bananes, rien ne pouvait le tenter et le faire revenir.

La Vicomtesse, les yeux rouges de larmes, parut au balcon. Elle n’offrait aucune friandise, mais elle tendait désolamment les bras vers son sapajou mignon. Ses sanglots secouèrent tant sa belle poitrine, que ses seins rompirent le lacet du corsage et jaillirent comme des fruits merveilleux et enchantés.

Vespasien tendit une main, une petite main brune et nerveuse qui s’ouvrait, se refermait et s’ouvrait encore. Que sa maîtresse lui parut belle, dans cet état d’exaspération torturante, avec tout son être tendu vers lui ! Il crut un instant fléchir pour goûter de plus près ce spectacle ravissant. Mais une étincelle d’intelligence traversa son cerveau :

« Elle me plaît comme ça, mais si je reviens, elle se calmera… et alors, elle ne sera plus comme à présent… »

Il était toujours suspendu à l’arbre, par sa longue queue brune. Il pirouetta, la Vicomtesse poussa un cri de terreur, et plus loin, Vespasien se balançait toujours par la queue, à une autre branche. Il pirouetta encore et s’éloigna ainsi en bonds souples et élégants, sans se servir de ses mains antérieures et postérieures.

La voix de la Vicomtesse s’entendait à peine :

— Reviens, mon Vespasien, reviens ! Ne vois-tu pas que tu es tout nu ? Tu prendras froid, tu n’as rien pour te couvrir… et puis les gardes du Roy t’arrêteront pour attentat contre les mœurs publiques… Reviens, mon Vespasien !

Mais Vespasien trouvait le monde merveilleusement vaste et se promettait un long voyage d’exploration !

Il eut une espèce de vertige d’espace. Il bondit sans regarder, d’arbre en arbre. Ah ! qu’il faisait bon se dégourdir les membres ! Le jardin n’était pas grand et il


La Fuite du Sapajou
vit d’autres maisons. Il grimpa sur les toits, traversa d’autres jardins et d’autres maisons que séparaient de belles cours. Il longea les murs et courut éperdument. Des ruelles sillonnaient de toutes parts. Il sauta d’un toit à l’autre et voyait au fond passer des carrosses et des chaises. Que tout ça était drôle !

Devant une fenêtre fermée, il vit un plat de cerises. Il chercha celles à double ou triple tiges, les suspendit tout le long de ses bras et s’enfuit emportant son déjeuner qu’il dégustera sur un grand arbre. Il arriva dans un grand jardin où se promenait beaucoup de monde. Il y avait des dames, des nobles, des petits bourgeois et des enfants. Alors une à une, il mangea ses cerises en lançant les noyaux sur le crâne des gens. À chaque coup quelqu’un relevait la tête, mais Vespasien était caché dans les épais frondages et personne ne pouvait le voir. Puis, quand il eut fini, il vit dans un bosquet perdu, un couple alangui qui semblait un peu trop goûter la solitude. Quel dommage ! Il n’avait plus de noyau de cerises à jeter. Et pourtant il chercha autour de lui un projectile possible. Que pouvait-il trouver sur un arbre ? Ce n’était même pas un chêne où il aurait cueilli quelques glands. Et pourtant il lui fallait quelque chose. L’envie irrésistible de lancer n’importe quoi sur ce couple s’imposait plus furieusement encore. Cette envie le rendit tout nerveux. Un oubli lancinant… et de peur il bondit sur le toit d’une maison pour ne pas voir ce qui était arrivé. Mais ensuite, un cuisant désir le prit de regarder ! Il se pencha sur la gouttière ? Il ne vit plus qu’une ombrelle ouverte.

Bientôt la nuit tomba, et la lune se leva. L’humidité du soir pénétra ses os et le fit frissonner. Pour tromper ses frissons, il se gratta à outrance et furieusement attrapa toutes ses puces, mais cela ne dura qu’un moment. Le travail était terminé et il fallait s’occuper pour ne pas geler. Il regretta un instant ses dentelles, ses brocarts, son gilet, ses culottes, ses bas en soie de Chine et son habit en velours de Gênes. Il rêva avec nostalgie à son berceau de fanfreluches vaporeuses avec son matelas ouaté, ses couvertures roses et ses draps de batiste. Ah ! qu’avait-il donc fait ? Pour un caprice, il avait abandonné tout son bien-être, toute sa vie remplie de luxe grisant ! Et la Vicomtesse ? Il n’évoqua d’elle que son décolleté blanc et ses épaules potelées. Puis ses yeux eurent un éclair !

— Après tout, quel assouvissement avait-il trouvé dans tout ce faste ?

Il cabriola sur le parapet d’un hôtel.

— Vive la liberté !

Pour lui liberté voulait dire aussi amour. Et il bondit de toit en toit à la conquête de cet amour.

La ville s’endormait. Une brume d’abord légère, puis plus dense, montait des rues et des boulevards. Les rumeurs du jour une à une semblaient s’étouffer dans le voile opaque qui enveloppait en guirlandes les quartiers les uns après les autres. Les persiennes une à une se fermèrent. Le silence et l’obscurité lui firent encore plus froid à l’épiderme.

— Et si j’attrapais froid… pensa-t-il tristement… Je mourrais de phtisie comme tous mes frères… Tout ça est bien triste…

Du haut du toit d’où il devisait, il crut voir, à quelques maisons près, de la lumière à une fenêtre. Il pensa y voler, car la lumière lui inspira de la chaleur. Qu’il fera bon se chauffer un peu.

Il arriva. Les vitres étaient fermées. Il regarda à l’intérieur.

Évidemment les gens étaient trop occupés pour songer à fermer les persiennes. Ce qu’ils étaient « affairés » ! Il n’y avait qu’un petit maître et une dame. Mais ils paraissaient travailler pour six. Au bout d’un moment ils s’affaissèrent. Vespasien dévorait des yeux, avec passion, tout ce spectacle. Il se recroquevillait sur lui-même pour ne rien perdre de ce qui se passait derrière la vitre close. La dame s’écarta un peu et leva les yeux vers la fenêtre. Il eut peur et pour éviter d’être vu il se colla, tremblant, tout contre l’embrasure. Le petit maître se leva, peut-être pour tirer les rideaux. Vespasien alors ne put retenir un cri dans sa frayeur et bondit dans le vide. Où allait-il tomber ? C’est effroyable lorsqu’il fait si noir dehors. Il tomba au beau milieu d’une cour, bien entendu sans se faire le moindre mal. Mais son petit cœur battait si fort. Que voulez-vous, l’émotion ! Deux chats noirs se lamentaient en tendres pleurs. C’étaient des soupirs alanguis et irritants, mais pour Vespasien, ils étaient suggestifs. La chatte était blottie au bord d’une gouttière et de sa queue qui se balançait en saccades, s’échappaient des étincelles crépitantes. Ses yeux perçaient les ténèbres comme deux dards d’or. Le chat rampait traîtreusement vers elle, en sanglotant le trop-plein de son amour. Et ses yeux scrutaient terriblement la nuit noire. C’était là un spectacle assez effrayant pour Vespasien, mais il était comme hypnotisé par ces quatre dards d’or qui tournaient en tous sens et il resta sur place, claquant des dents et secoué convulsivement de terreur. Mais le chat poussa un cri si déchirant et bondit sur la chatte de si furieuse façon, que le petit sapajou, comme secoué d’un rêve, grimpa haletant le long de la gouttière. Dès qu’il se vit sur les mansardes, il respira et passa sa main sur son front bas et fuyant.

La lune impassiblement parcourait avec flegme le vaste firmament. Qu’elle était sereine ! Rien de tout ce qu’avait vu Vespasien, rien de ce qui l’avait agité et terrorisé n’avait influencé sa sérénité. Vespasien la regardait. Sa lourde figure bouffie semblait se rire de ce qui se passait par cette nuit d’aventures.

Au loin les appels des chats s’interpellaient, se répondaient sur leurs notes traînardes et énervantes. Brrr !… qu’il faisait froid ! Il vit du haut de son promontoire un fleuve coulant monotonement entre deux quais raides et guindés. La lune faisait des zigzags blafards dans les eaux sombres. Il sauta sur les branches des arbres qui longeaient la berge. Il tremblait de tous ses membres. Avait-il seulement froid ? Il sentait, comme la lune dans l’eau, courir des zigzags le long de son épiderme, des zigzags tranchants qui labouraient sa chair et ses os. Et tous ses poils se hérissèrent très inconfortablement. Sa longue queue nerveuse et terne battait l’air désespérément et s’entortillait en tout sens comme un reptile qui cherche une proie. Il sentait avoir en lui quelque chose de trop qu’il fallait extérioriser. Mais quelle était cette chose ? et comment l’extérioriser ? En tout cas, c’était bien incommode ce qu’éprouvait Vespasien. Il tournait la tête de droite à gauche, de gauche à droite, dans l’espoir de rencontrer quelqu’un ou n’importe quoi, qui lui suggérât un conseil à suivre. Mais il ne vit qu’une forme blanche qui se traînait tristement le long du parapet des quais. Cette forme se mit alors à gesticuler burlesquement. Elle chantait en s’accompagnant sur une guitare. C’était Pierrot… et c’était bien triste ce qu’il chantait.

Pierrot chanta « Au clair de la lune » et Vespasien pour se donner une contenance se chercha encore une puce. En vain : elles étaient toutes mortes comme la chandelle de la chanson. Alors Pierrot pleura et fit une prière poignante et muette à la lune. Il joignit les mains, mais ses manches blanches étaient trop longues et les bouts pendaient lamentablement comme les loques d’un souvenir perdu.

Puis il reprit sa guitare et sanglota encore une de ses vieilles complaintes. Cela commençait ainsi :

« Pourquoi me refuser ?… »

Mais Vespasien n’entendait rien à la poésie et encore moins à la musique. Tout ce qu’il comprit c’était une longue énumération de tout ce que la cruelle inconnue refusait à Pierrot et que Pierrot désirait si ardemment. Curieuse coïncidence : cette énumération cadrait bien avec les désirs de Vespasien et lorsque la chanson mourut dans un sanglot, Vespasien pleurait à chaudes larmes.

Alors Pierrot tendit ses mains à travers ses longues manches et s’approcha de Vespasien.

— Tu pleures ?… Tu as pitié de moi… Colombine m’a trahi… Elle est à présent une Marquise. Elle va au bal… Elle porte des souliers blancs et des talons rouges, et des perles autour du cou. Elle m’a oublié… Mais j’espère, un jour, la retrouver et l’étreindre sous mes caresses.

Vespasien prit un air sceptique.

— Viens ! Tu seras mon compagnon dans le malheur. Tu as froid peut-être ? Viens nous dormirons sous les ponts l’un tout contre l’autre.

Cette proposition sembla honnête, et Vespasien se laissa faire. Pierrot l’enroula dans une guenille et prit Vespasien sous le bras. Lorsqu’ils passèrent sous une arche, Pierrot s’étendit à terre, serra les genoux contre son ventre et Vespasien sur son cœur.

— Ah ! qu’il fait bon un peu se réchauffer, pensa Vespasien. Ce Pierrot est bon pour une nuit, mais non point pour deux. C’est un rêveur. Du diable si jamais il retrouvera son amour. Il est trop bête et moi qui suis plus malin, je ne le suivrai certes pas. Je risque fort de mourir le corps et le cœur à jeun.

Pierrot caressa sa petite tête velue.

C’était très doux et Vespasien s’endormit.

Ils eurent tous deux un sommeil très agité.

Pierrot rêva que Colombine accourait vers lui bourrelée de remords, qu’elle se pâmait d’amour et que solennellement, devant la lune, elle prêtait serment de fidélité éternelle à son amant éploré.

Vespasien rêva de forêts vierges, de gambades éperdues à la poursuite de mille petites pucelles de son espèce. C’était très drôle, car elles avaient toutes peur, mais peu à peu, elles se laissaient gagner et séduire par son charme irrésistible et devenaient autant de sages et soumises épouses.

Le fait est que Vespasien se réveilla au haut d’un arbre.

Et Pierrot ?… Toujours endormi sous les ponts ? Vespasien ne s’en souciait guère.

Les rumeurs de la ville montaient avec l’aurore. Les lourdes charrettes des maraîchers longeaient les quais en faisant trembler la chaussée. Les halliers criaient avec discordance. Les petites voitures des laitiers couraient très affairées en tout sens. Quelques passants frileux frôlaient les murs des maisons, la tête enfouie sous un grand col de fourrures. Les porteuses de pains se suspendaient aux sonnettes des portes, alors qu’un concierge encore tout ankylosé de sommeil venait ouvrir.

Vespasien regardait hébété tout ce spectacle.

Bientôt les boutiques s’ouvrirent. Et Vespasien se pencha pour voir ce qu’elles pouvaient contenir.

Oh ! que c’était curieux. Toutes les boutiques le long du quai avaient des cages. Et l’on y voyait voler des oiseaux de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Et puis, dans ces cages… il y avait d’autres animaux aussi !… Mais ce n’était pas des oiseaux…

Vespasien sauta jusqu’à la première branche pour mieux voir.

Rêvait-il ?… C’était des sapajous.

Les passants étaient rares et il ne faisait pas encore clair. Peut-être pourrait-il se dissimuler parmi ses frères sans être vu. Il sauta.

De barreau en barreau, il les passa tous en revue, mais on l’accueillit froidement ou furieusement. Finalement il reconnut une petite sœur. Qu’elle était mignonne ! Elle avait peur, elle paraissait craintive tout au fond de la cage en couchant sa petite tête sous son bras velu. Mais un œil clignotant dépassait on ne sait d’où, et cela lui permettait d’épier les attitudes du bel inconnu.

Vespasien d’un geste lui fit comprendre qu’il mourait de faim. La petite vierge plongea la main dans une petite boîte carrée et lança quelques noisettes que Vespasien attrapa au vol. Et cette charmante entrevue fut égayée de petits cris aigus et de marivaudages. Mais l’idylle commençait à peine. Quand les élancements de la faim furent apaisés et que les noisettes eurent produit leur effet de restauration, Vespasien mima à sa belle tout un poème lyrique. La petite vierge en fut d’abord paralytiquement intimidée. Elle vit cependant la sincérité, la bonne foi de son soupirant et sans être encore tout à fait rassurée, la frayeur se modifia en violente émotion, ce qui la fit trembler comme une feuille de pistachier. Voici ce qu’en gestes éloquents, lui dit le tendre soupirant :

« Tu me plais, je ne sais te dire pourquoi, je suis même trop échauffé pour en comprendre la cause. Peut-être ne le comprends-tu pas non plus. Mais je subis un charme qui ne doit pas t’être étranger et comme je me sens attiré vers toi, tu dois te sentir attirée aussi ! C’est si naturel de se caresser un peu. Allons, viens ma mignonne, viens plus près pour qu’il se passe la chose la plus naturelle du monde ! »

La petite vierge, lentement, avec une certaine réserve, s’approcha de Vespasien qui l’attendait de ses deux bras tendus et de ses dix petits doigts follement agités. Il poussa un soupir assez expressif et lui passa une main sous le menton. Cette familiarité sembla la froisser. Elle lui tourna le dos avec dédain et s’assit tout contre les barreaux de la cage. Était-ce de la coquetterie ?… Toutefois, Vespasien prouva qu’il n’y voyait aucun inconvénient.

La journée semblait s’annoncer très belle et les rayons du soleil biaisaient sur les quais et les berges du fleuve.

On vit sortir de la boutique, une vieille femme, assez échevelée, très en chair mais non pas en chair de toute première qualité. Elle apparut avec un balai à la main et un torchon sous le bras pour nettoyer un peu la marchandise de sa devanture. Dès qu’elle vit Vespasien, elle se jeta sur lui croyant à un pensionnaire évadé. Elle le poursuivit, avec grand fracas, et renversa plusieurs cages. Les oiseaux affolés volaient en tous sens, meurtrissant contre les barreaux leurs ailes hérissées. Et c’étaient des cris désordonnés et discordants. Les perroquets du haut de leurs perchoirs vociféraient comme des forcenés. Les singes pirouettaient comme des énergumènes désarticulés de Satan. Vespasien eut une peur effroyable, et instinctivement se réfugia d’un bond sur la dernière branche d’un arbre. Dans tout ce tintamarre, il fut un moment attiré par des appels poignants dont les supplications lui allèrent au cœur. Il se retourna. Celle qui fut sa petite amie d’un instant se lamentait avec désolation. Ses grands yeux bruns remplis de désir et de nostalgie étaient rivés sur son amant enfui. Mais Vespasien, plus captivé par la conservation de l’individu que par le sacrifice de l’amour, crut plus prudent de faire la sourde oreille. Il agita ses quatre membres pour en vérifier l’agilité et se perdit dans les frondages épais des peupliers et des platanes.

Vespasien médite du haut d’un toit.

Après tout, il a assouvi ses désirs. Mais pour cela quelles privations et que de périlleuses aventures ! Il rêve à son existence de naguère, toute de confort et de gâteries. Il rêve aux seins blancs de la Vicomtesse et à ce cadre d’étoffes moelleuses, à toutes ces friandises alléchantes qui s’offraient à lui et qu’il savourait sans qu’il eût besoin de s’en soucier à l’avance. Il ne se nourrissait que de fruits fins et savoureux. Jamais il n’avait pu, jusqu’à ce jour, concevoir les abois de la faim, tout au plus les agaceries de l’appétit. Et puisque le voilà amoureusement assouvi, il ferait bon revenir au foyer.

Dorine et Martine pleurent à la fenêtre de leur mansarde.

La Vicomtesse est inflexible. Sa colère touche à l’hystérie et si ce soir, à la tombée du jour, Vespasien ne revient pas, elles quitteront l’hôtel sur l’heure. Mais où chercher ce mauvais garnement de sapajou ? Paris est si grand ! Et les voilà toutes découragées qui pleurent à la fenêtre de leur mansarde, trempant de larmes leurs petits tabliers et recommandant leur avenir à Dieu.

Oh ! qu’elle était mauvaise, la Vicomtesse ! Elle les a souffletées toute la journée, les traitant de gourgandines, de gredines et de gourdes. On aurait dit qu’on lui avait enlevé… ma foi, on n’en sait rien… Sa nervosité était telle qu’elle tombait en syncope, qu’elle avait des accès de rage de femelle en rut, qu’elle sanglotait comme elle ne pleurerait guère pour la perte de son mari…

Dorine et Martine pleurent, les yeux hagards.

Elles regardent hébétées les arbres du jardin qui se balancent mollement au gré de la brise. Mais une branche semble ployer plus que les autres.

— Dorine !

— Est-ce possible, Martine ?

Quelque chose qu’on ne distingue pas, vole prestement d’une branche sur la fenêtre.

— Vespasien !

Et les voilà qui embrassent avec effusion l’enfant prodigue, lui pardonnant tous ses méfaits d’autrefois, ainsi que son escapade qui les avait tant compromises.

Vespasien semble rire. Elles rient avec lui.

— Vite, habillons-le.

Elles l’emportent en le serrant tour à tour frénétiquement dans leurs bras. Elles volent dans l’escalier. Puis à pas de loup elles pénètrent dans le cabinet de toilette pour que leur maîtresse qui se désespère dans le boudoir voisin, ne puisse les entendre. Et voilà Vespasien recouvert de dentelles, de brocarts, de soie de Chine et de velours de Gênes. On l’affuble d’un petit tricorne où flottent des plumes d’autruche, on lui soigne les ongles avec le polissoir et de la pommade ocre, on lui passe les houppes légères sur le visage pour y mettre un peu de poudre blanche, un peu de poudre rose. Leurs doigts agiles ajustent les plis de son précieux accoutrement et éclaboussent quelques gouttes d’un parfum subtil sur son gilet mousseux.

— Le salut, Vespasien !

Et Vespasien tire son tricorne avec élégance et s’incline comme un prince du sang.

Dorine et Martine sont deux braves et honnêtes filles. Mais parce qu’elles sont servantes, elles sont curieuses et indiscrètes : elles écoutent aux portes.

Et qu’entendent-elles ?

Une voix d’homme dit :

— Vous me faites souffrir, cruelle.

Puis quelques froissements précipités de soie et de taffetas.

— Mon cher Lavoyeur, vos empressements par trop familiers, dictés par de prétentieuses licences m’insupportent. Vous dites que je vous fais souffrir. Mais d’autre part, je ne souffrirai point vos manières de bellâtre.

Et la voix d’homme répond :

— Pourquoi me refuser ?…

Vespasien, un peu surpris, songe à la chanson de Pierrot.

Mais la Vicomtesse reprend :

— Je vous l’ai dit : Rien ne saura remplacer mon Vespasien mignon, ni les espiègleries de mon nain Scaramouche, ni le charme de mon petit nègre Sardanapale. Vous n’auriez donc pas le front, je suppose, de me faire oublier mon chagrin.

— Tout au plus de l’étourdir, supplia la voix d’homme.

Il y eut un moment de silence. Peut-être pouvait-on surprendre le vol d’un baiser que suivirent quelques soupirs.

Dorine et Martine eurent le cœur d’attendre que les soupirs s’envolassent à leur tour, puis poussant Vespasien, elles entrebâillèrent la porte, et la refermèrent aussitôt tout doucement sur lui.

Vespasien était médusé.

Sur le lit de repos se reposaient peut-être avec trop d’abandon, le Duc de Lavoyeur et la Vicomtesse de Valfleuri. Sans savoir pourquoi, il fut torturé par une de ces jalousies animales, irréfléchies et féroces, dont souffrent les petits êtres de son espèce… Une jalousie incommensurablement énorme qui s’abattait sur son petit corps si vibrant et si chétif ! Il grinça des dents et poussa un cri qui fit sursauter et redresser le Duc et la Vicomtesse. Instinctivement ils rajustèrent leurs toilettes. Le Duc tira le bas de son gilet et vérifia les bouffants de sa culotte. La Vicomtesse fit choir les plis raides de ses jupes et rafraîchit ses paniers enguirlandés de fleurs. Elle mit aussi une main à sa coiffure pour vérifier la solidité de son petit bonnet. Tout cela ne dura qu’une demi-seconde. Le temps d’une parabole, le saut de Vespasien de la porte au lit de repos.

— Vespasien !

Et la Vicomtesse ne se contint plus. Elle oublia le Duc de Lavoyeur et couvrit son petit mignon de baisers en vocalises légères comme le chant du rossignol.

— Mon petit amour !

Elle le serra tendrement sur son cœur, tandis qu’il nouait ses bras autour du cou de sa joyeuse maîtresse. Il la regarda dans le blanc des yeux, avec des prunelles ardentes, un peu trop ardentes. Ses petites mains soignées caressèrent les épaules rondes et soyeuses de la Vicomtesse et lorsque ses doigts eurent longuement frôlé sa peau blanche au grain divin, si divin qu’il sentit ses vertèbres en frissonner, il rit de plaisir, de ce rire spécial qui décèle le comble de son transport.

Ce spectacle, évidemment, sembla déplaire au Duc de Lavoyeur qui s’écarta, dépité. Ses beaux souliers vernis craquèrent sur le plancher. Ce bruit fit retourner Vespasien. Sa jalousie, un instant oubliée, le remordit au vif. Il bondit sur les épaules du Duc et laboura son ondoyante perruque. La Vicomtesse eut grande envie de rire, mais se contint en tançant Vespasien d’une voix forte. Le Duc outré ne se tint plus :

— Ordonnez, Madame, qu’on me délivre de cet animal offensant ou je le tue sur l’heure.

Ce ton péremptoire interloqua la Vicomtesse qui se trouva clouée sur place et à court de paroles.

Et Vespasien griffa le Duc à nu dans le dos, après avoir lacéré habit, gilet et chemise. Puis, fou de rage il bondit sur sa tête et volontairement eut un oubli lancinant qui gicla sur son nez et vint ensuite éclabousser son jabot.

Le Duc était hors de lui. Il leva le bras et attrapa Vespasien par la queue. Celui-ci se retourna prestement, le mordit si violemment que le Duc lâcha prise, et le voilà se réfugiant derrière la coiffure aux boucles folles de sa maîtresse qui ne se contenait plus de rire.

— Ah ! vous riez, Madame, cria le Duc pourpre de colère. Je vois, je suis de trop. Je me fais l’effet grotesque de l’amant surpris par le mari. Je ne veux plus longtemps vous infliger ce spectacle ridicule. Adieu.

Et sans la moindre révérence, il ouvrit une porte secrète et disparut.

La Vicomtesse encore harassée de rire, couvrait Vespasien de tendres baisers.

Dorine et Martine entrèrent en coup de vent.

— Madame la Vicomtesse, nous sommes vite


Le Retour de Vespasien
accourues dire à Madame la Vicomtesse que M. le Vicomte est ici.

— Il arrive à l’instant. Il est dans l’escalier. Il monte.

La Vicomtesse avait déjà repris tout son calme habituel.

— Eh bien ! qu’il soit le bienvenu. Faites entrer tout de suite. Je l’attends avec impatience.

Les deux servantes écarquillaient des grands yeux surpris. Que s’était-il passé ?

Le Vicomte parut dans l’embrasure de la porte.

Elle se jeta dans ses bras et l’embrassa avec effusion.

— Vous me voyez bien heureuse ! C’est votre retour qui en est cause. Resterez-vous à présent pour toujours auprès de moi ? Un espoir si charmant me serait-il permis ?

— Le langage de Racine dans votre bouche me semble plus suave encore, fit le Vicomte. Non, très chère, je dois repartir. La guerre n’est pas finie. Si je suis venu, c’est parce que je ne pouvais si longtemps demeurer sans vous présenter mes hommages et vous étreindre de mon amour. Mais je ne vous importunerai pas longtemps de ma présence, puisqu’une mission auprès du Régent m’envoie en ces lieux, et que demain il me faudra regagner le champ de bataille.

La Vicomtesse baissa le front avec un air soumis.

Délicieusement coquette, elle dit à Vespasien.

— Notre maître est bien méchant, n’est-ce pas ? Il ne nous aime plus puisqu’il nous quittera demain et qu’il nous laissera tous les deux, seuls, pour bien longtemps encore.

Elle murmura plus bas, à son oreille :

— Merci, mon petit chérubin, tu m’as sauvé la vie.

Paris, 15-20 décembre 1918.