Sur le sens du mot Révolutionnaire
Sur le sens du mot Révolutionnaire
De révolution, nous avons fait révolutionnaire ; et ce mot, dans son sens général, exprime tout ce qui appartient à une révolution.
Mais on l’a créé pour la nôtre, pour celle qui, d’un des États soumis depuis plus longtemps au despotisme, a fait, en peu d’années, la seule république ou la liberté ait jamais eu pour base une entière égalité des droits. Ainsi, le mot révolutionnaire ne s’applique qu’aux révolutions qui ont la liberté pour objet.
On dit qu’un homme est révolutionnaire, c’est-à-dire, qu’il est attaché aux principes de la révolution, qu’il agit pour elle, qu’il est disposé à se sacrifier pour la soutenir.
Un esprit révolutionnaire est un esprit propre à produire, à diriger une révolution faite en faveur de la liberté.
Une loi révolutionnaire est une loi qui a pour objet de maintenir cette révolution, et d’en accélérer ou régler la marche.
Une mesure révolutionnaire est celle qui peut en assurer le succès.
On entend alors que ces lois, ces mesures, ne sont pas du nombre de celles qui conviennent à une société paisible ; mais que le caractère qui les distingue, est d’être propres seulement à un temps de révolution, quoique inutiles ou injustes dans un autre.
Par exemple, une loi qui proscrirait, en France, les noms de famille, de manière que chacun portât un nom personnel, auquel il ajouterait, dans les actes, celui de son père, afin d’éviter une confusion contraire au bon ordre, une telle loi pourrait s’appeler révolutionnaire. En effet, dans un pays éclairé, où les principes de l’égalité naturelle seraient consacrés par une longue habitude, il serait absurde de craindre la perpétuité des noms, et dès lors il y aurait une légère injustice à la défendre.
Mais en France, où les préjugés d’inégalité sont plutôt comprimés qu’anéantis, où la haine qu’ils inspirent est trop violente pour qu’ils soient encore tombés dans tout le mépris qu’ils méritent ; en France, cette loi pourrait être utile : elle ôterait tout espoir de ressusciter, soit la noblesse, soit même les distinctions de naissance.
A Rome, où l’inégalité était consacrée par la constitution, et par presque toutes les institutions sociales, on avait systématiquement arrangé la perpétuité des noms de famille. On portait celui de la tige, puis de la branche, puis quelquefois d’une seconde ramification. Mais, dans les pays où l’on jouissait d’une liberté égale, dans ceux où l’on gémissait sous l’égalité de la servitude, dans la république d’Athènes, comme en Perse, les noms de famille étaient inconnus. II était d’usage, en Grèce, dès les temps les plus reculés, d’ajouter le nom du père. C’est ainsi que, dans Homère, on distingue les deux Ajax ; et nous ne voyons aucune trace qu’on ait éprouvé le besoin d’une autre distinction.
Ou aurait tort, au contraire, d’appeler révolutionnaire la loi qui admettrait les enfants nés hors du mariage à partager, avec égalité, dans le bien de leur mère et dans celui du père qui les aurait reconnus. Ce n’est pas que cette loi ne fût très utile pour la révolution ; mais cette même loi est impérieusement exigée par les premiers principes de la justice naturelle, et on ne doit pas la distinguer des autres lois justes et sages qui conviennent à tous les pays et à tous les temps.
On a trop souvent abusé du mot révolutionnaire. Par exemple, on dit, en général : il faut faire une loi révolutionnaire, il faut prendre des mesures révolutionnaires. Entend-on des lois, des mesures utiles à la révolution ? On n’a rien dit. Entend-on des mesures qui ne conviennent qu’à cette époque ? On dit une chose fausse ; car, si une mesure était bonne à là fois, et pour l’état de calme, et pour celui de révolution, elle n’en serait que meilleure.
Entend-on une mesure violente, extraordinaire, contraire aux règles de l’ordre commun, aux principes généraux de la justice ? Ce n’est pas une raison suffisante de l’adopter ; il faut de plus prouver qu’elle est utile, et que les circonstances l’exigent et la justifient.
Il peut être bon de remonter à l’origine de cet abus du mot révolutionnaire.
Quand il fut question d’établir la liberté sur les ruines du despotisme, l’égalité sur celles de l’aristocratie, on fit très-sagement de ne pas aller chercher nos droits dans les capitulaires de Charlemagne, ou dans les lois Ripuaires ; on les fonda sur les règles éternelles de la raison et de la nature.
Mais bientôt la résistance des partisans de la royauté et des abus obligea à prendre des moyens rigoureux que les circonstances rendaient nécessaires : alors, les anti-révolutionnaires crurent embarrasser leurs adversaires, en alléguant ces mêmes principes de justice naturelle avec lesquels on les avait si souvent battus ; on entendait, sans cesse, invoquer la déclaration des droits par ceux qui en avaient trouvé la proposition absurde et dangereuse.
Comme on ne pouvait souvent leur répondre qu’avec une logique assez fine, et qu’on ne se croyait pas toujours sûr du succès, on imagina le mot de loi de circonstance, qui, devenant bientôt ridicule, fut remplacé par celui de loi révolutionnaire.
Les anciennes lois de presque tous les peuples ne sont qu’un recueil d’attentats de la force contre la justice, et de violations des droits de tous en faveur des intérêts de quelques-uns ; la politique de tous les gouvernements n’offre qu’une suite de perfidies et de violences ; en conséquence, les philosophes se contentaient presque toujours de combattre ce système d’ïnjustice et d’oppression, en établissant les principes de la morale universelle. Ils les employaient dans leur généralité métaphysique. Ils s’occupaient d’autant moins des exceptions, qu’ils voyaient sans cesse les oppresseurs croire justifier tous les abus, tous les crimes, en les présentant comme des exceptions exigées par une impérieuse nécessité.
Ainsi, dans l’embarras de distinguer ce que les circonstances rendaient légitime, on trouva plus court d’en tirer une excuse vague, et de faire embrasser avec chaleur, comme nécessaire, ce dont on ne savait trop comment prouver la justice.
Il est peut-être temps, aujourd’hui, de substituer des règles plus fixes à cette marche, commode, mais dangereuse.
Lorsqu’un pays recouvre sa liberté, lorsque cette révolution est décidée, mais non terminée, il existe nécessairement un grand nombre d’hommes qui cherchent à produire une révolution en sens contraire, une contre-révolution, et qui, confondus avec la masse des citoyens, deviendraient dangereux, si on leur permettait d’agir de concert, de réunir à eux tous ceux qui, partageant leurs sentiments, sont retenus par la crainte ou la paresse. Voilà donc un danger contre lequel il est juste de se défendre ; ainsi, toute action, même indifférente, qui augmente ce danger, peut devenir l’objet d’une loi répressive, et toute action qui tend à le prévenir peut légitimement être exigée des citoyens.
Le pacte social a pour objet la jouissance égale et entière des droits qui appartiennent à l’homme ; il est fondé sur la garantie mutuelle de ces droits. Mais cette garantie cesse à l’égard des individus qui veulent le dissoudre ; ainsi, quand il est constant qu’il en existe dans une société, on a droit de prendre les moyens de les connaître, et quand on les connaît, on n’est plus restreint à leur égard que par les limites du droit de la défense naturelle. De même, si un droit plus précieux est menacé ; si, pour le conserver, il est nécessaire de sacrifier l’exercice d’un autre droit moins important, exiger ce sacrifice n’est pas violer ce dernier droit ; car il cesse alors d’exister, puisqu’il ne serait plus, dans celui qui ie réclamerait, que la liberté de violer dans autrui un droit plus précieux.
Dans l’incendie de Londres, en 1766, on ne coupa point le feu, parce que la loi défend d’abattre les maisons ; on laissa brûler les meubles et les marchandises des absents, parce qu’elle défend, d’enfoncer les portes. N’imitons pas cet exemple.
Mais en Angleterre, quand on veut violer la loi, quand on veut que le roi puisse librement exercer des actes de tyrannie, on suppose une conspiration. C’est ce qu’on a vu se répéter deux fois dans les dernières années de Charles II ; ce que George Ier ne manqua point de faire ; ce que George III imite si glorieusement dans ce moment même ; et l’on doit également éviter cet exemple en sens contraire.
Plus la loi révolutionnaire s’écarte des principes rigoureux de la justice commune, plus on doit la renfermer dans les limites de la sévérité nécessairement exigée par la sûreté publique. En Angleterre, on fit un crime capital de la seule action de dire la messe. Cette loi ne fut jamais exécutée, et n’a servi qu’à légaliser des rigueurs arbitraires.
Dans un bon système de législation, les lois ordinaires conservent leur force, tant qu’elles ne sont pas révoquées ; mais les lois révolutionnaires, au contraire, doivent porter avec elles le terme de leur durée, et cesser d’être en vigueur si, à cette époque, elles ne sont renouvelées. Dans un temps où l’on pouvait regarder tout papiste comme un ennemi, la nation anglaise put légitimement leur défendre d’avoir des armes ; mais la loi subsista longtemps après le moment où, devenue absurde et tyrannique, elle n’était plus qu’un moyen de viles délations, d’exactions honteuses.
Les lois, les mesures révolutionnaires, sont donc, comme les autres, asservies aux règles sévères de la justice ; elles sont des lois de sûreté, et non de violence. Ainsi, la liberté de changer de lieu, même sans motif d’utilité, celle de l’émigration, celle de disposer à son gré des denrées qu’on a recueillies ou achetées, quoique fondées sur le droit naturel, ne peuvent être opposées à nos lois sur les passe-ports, sur les émigrés, sur les subsistances, si la conservation de la société a rendu ces lois nécessaires ; c’est donc en elles-mêmes qu’il faut les examiner.
N’est-il pas vrai, par exemple, que dans les raisonnements sur lesquels on appuie le principe très-vrai de la justice et de l’avantage d’une liberté illimitée pour le commerce des subsistances, on n’a jamais examiné l’hypothèse où les denrées seraient évaluées en une monnaie dont les circonstances rendraient la valeur réelle décroissante, de manière qu’il pût exister du profit à garder une denrée, quand bien même l’abondance devrait bientôt en faire baisser le prix réel ? On n’a pas examiné l’hypothèse où la masse des achats, payés ou avancés par le trésor public, deviendrait assez considérable pour éloigner les acheteurs particuliers, forcés à plus d’économie, et comparé le danger de fîxer un maximum à celui de voir multiplier ces achats, et de faire nourrir une grande nation par son gouvernement. Si on a complètement réfuté la crainte chimérique du monopole ou des accaparements, on n’a pu considérer l’hypothèse où plusieurs grandes puissances, réunies contre une seule nation, parce qu’elle veut être libre, auraient avoué le projet de l’affamer, parce qu’elles désespéreraient de la vaincre ; où ces puissances pourraient espérer de trouver des complices dans la nation même ; où ces complices pourraient, avec un succès égal, soit employer des manœuvres de commerce, soit les supposer pour amener la terreur et le pillage ; où enfin, pour la première fois, peut-être, un pacte de famine serait devenu possible d’une autre manière que par des lois prohibitives.
Enfin, la puissance de la loi, dans un pays qui n’a point de constitution consacrée par quelques années d’habitude, peut-elle calculer comme dans celui où le respect pour la loi etablie jusqu’à ce qu’une autorité légitime l’ait réformée, est devenu une des premières vertus du citoyen ?
Ne croyons pas justifier tous les excès en les rejetant
Maïs gardons-nous aussi de calomnier les amis de la liberté, eu jugeant les lois qu’ils font adopter, les mesures qu’ils proposent, d’après des règles qui ne sont vraies, dans toute leur étendue, que pour des temps tranquilles.
Si le zèle, même pour la plus juste des causes, devient quelquefois coupable, songeons aussi que la modération n’est pas toujours sagesse.
Faisons des lois révolutionnaires, mais pour accélérer le moment où nous cesserons d’avoir besoin d’en faire. Adoptons des mesures révolutionnaires, non pour prolonger ou ensanglanter la révolution, mais pour la compléter et en précipiter le terme.
L’altération du sens des mots en indique une dans les choses mêmes.
Aristocratie signifie le gouvernement des sages. Des vieillards gouvernaient, par l’autorité de leur expérience, des peuplades pauvres et peu nombreuses. Un petit nombre de riches gouvernèrent avec orgueil ces peuplades transformées en villes opulentes et populeuses ; dès lors, aristocratie est devenue justement le synonyme de tyrannie.
Les vieillards présentaient aux dieux les vœux de leurs familles ; un prêtre, suivant l’étymologie de ce mot, était un ancien. Il y a loin de là à des gens qui vendent des prophéties, inventent des miracles, volent les biens de la terre en promettant le ciel, et assassinent les hommes au nom de Dieu.
- ↑ Journal d’Instruction sociale.