Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau/Préface

Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 1-3).


PRÉFACE
DE L’ÉDITION DE 1814


J’étais à Vienne en 1808. J’écrivis à un ami quelques lettres sur le célèbre compositeur Haydn, dont un hasard heureux m’avait procuré la connaissance quelques années auparavant. De retour à Paris, je trouve que mes lettres ont eu un petit succès ; qu’on a pris la peine d’en faire des copies. Je suis tenté de devenir aussi un auteur, et de me voir imprimer tout vif. J’ajoute donc quelques éclaircissements, j’efface quelques répétitions, et je me présente aux amis de la musique, sous la forme d’un petit in-8o.

note ajoutée en 1817

Lorsque l’auteur se détermina, en 1814, à relire sa correspondance, et à en faire une brochure, il cherchait quelques distractions à des chagrins très graves, et ne prit pas la précaution d’écrire à Paris pour avoir du succès. Ainsi aucun journal n’annonça ce petit ouvrage ; mais en Angleterre il a eu les honneurs d’une traduction[1], et les revues les plus estimées ont bien voulu discuter les idées de l’auteur. Voici sa réponse.

J’ai cherché à analyser le sentiment que nous avons en France pour la musique. Une première difficulté, c’est que les sensations que nous devons à cet art enchanteur sont extrêmement difficiles à rappeler par des paroles. Je me suis aperçu que, pour donner quelque agrément à l’analyse philosophique que j’avais entreprise, il fallait écrire les vies de Haydn, de Mozart et de Métastase. Haydn m’offrait tous les genres de musique instrumentale ; Mozart, sans cesse comparé à son illustre rival Cimarosa, donnait les deux genres de musique dramatique ; celle où la voix est tout, et celle où la voix ne fait presque que nommer les sentiments que les instruments réveillent avec une si étonnante puissance. La vie de Métastase amenait naturellement l’examen de ce que doivent être les poëmes destinés à conduire l’imagination, cette folle de la maison, dans les contrées romantiques que la musique rend visibles aux âmes qu’elle entraîne.

Il me semble que la première loi que le dix-neuvième siècle impose à ceux qui se mêlent d’écrire, c’est la clarté. Une autre considération m’en faisait un devoir.

Nous parlons beaucoup musique en France, et rien dans notre éducation ne nous prépare à en juger. Car c’est une chose reconnue que, plus un homme est fort sur un instrument, moins il sent les effets du charme qu’il fait naître. Son âme est ailleurs, et il n’admire que le difficile. J’ai pensé que les jeunes femmes qui entrent dans le monde trouveraient avec plaisir, en un seul volume, tout ce qu’il faut savoir sur cet objet.

Dans l’analyse de sentiments aussi délicats, l’essentiel est de ne rien outrer. Ceci me convenait parfaitement ; le talent de l’éloquence, que je n’avais point, eût été déplacé dans un tel ouvrage.

Île de Wight, le 16 septembre 1817.

  1. Chez Murray, 1817 ; 496 pages, avec des notes savantes.