Statistique agricole décennale de 1882, canton de Saint-Paulien

STATISTIQUE
AGRICOLE DÉCENNALE DE 1882
DÉPARTEMENT DE LA HAUTE-LOIRE
canton de saint-paulien


RAPPORT du secrétaire archiviste de la commission de statistique agricole décennale de 1882, annexé au tableau synoptique des réponses des communes et du questionnaire récapitulatif.

Limite et étendue du canton.

Le canton de Saint-Paulien est situé au nord de la ville du Puy. Il est formé par les anciennes provinces d’Auvergne et du Velay, et comprend aujourd’hui sept communes, savoir : Blanzac, Borne, Lavoûte-sur-Loire, Lissac, Saint-Geneys-près-Saint-Paulien, Saint-Paulien et Saint-Vincent. Il est limité au Nord par les cantons d’Allègre et de Vorey, à l’Est par le canton de Vorey, au Sud par le canton du Puy, et à l’Ouest par les cantons de Loudes et d’Allègre. Sa superficie totale est de 11 295 hectares ; son industrie principale est l’agriculture.


Rivières et voies de communication.

La Loire et la Borne sont les deux cours d’eau importants qui baignent son territoire ; de nombreux affluents de ces deux rivières servent à l’irrigation des parties basses. Plusieurs voies de communication bien entretenues le sillonnent dans tous les sens ; on y remarque trois routes nationales, deux chemins de grande communication et deux d’intérêt commun ; la voie ferrée de Saint-Étienne à Arvant longe le canton à l’Est et à l’Ouest ; sur ce long parcours, il existe trois stations qui facilitent l’écoulement des divers produits agricoles.


Climat.

Sans être très rigoureux, le climat du canton de Saint-Paulien présente des variations assez sensibles. Les communes de Lavoûte-sur-Loire et de Saint-Vincent, situées le long du cours de la Loire et au commencement de la plaine de l’Emblavès, sont favorisées sous ce rapport ; aussi, dans cette dernière commune, peut-on cultiver la vigne et les arbres fruitiers avec quelque succès. Les plateaux, d’une assez grande étendue, à l’altitude de 800 mètres environ, éprouvent de brusques changements de température ; les hivers y sont longs et humides, le thermomètre descend quelquefois à plus de 20° au-dessous de zéro et il monte rarement à 30°. La température moyenne de l’année est de 8°,2, c’est-à-dire, environ 2° de moins qu’au Puy. Les vents les plus fréquents sont ceux du Nord-Ouest, de l’Ouest et du Sud qui soufflent parfois avec une grande violence ; ceux du Sud-Est et de l’Est se font sentir au printemps et pendant l’été ; ils sont souvent nuisibles à la fécondation des récoltes.


Terrain.

La composition du sol arable est peu compliquée ; on rencontre des alluvions modernes le long de la Loire, dans la commune de Saint-Vincent ; des argiles sableuses contenant un peu de calcaire, dans cette dernière commune et dans celles de Blanzac et de Saint-Paulien. Les plateaux sont formés par le terrain basaltique et le granit se montre seulement à Saint-Geneys-près-Saint-Paulien et au nord de Lissac.


Population.

La population du canton de Saint-Paulien est de 7 240 habitants, presque tous agriculteurs. Les femmes se livrent à la fabrication de la dentelle.


Régions agricoles.

La vigne est cultivée dans les trois communes de Blanzac, Lavoûte-sur-Loire et Saint-Vincent ; ses produits sont assez insignifiants dans les deux premières, la dernière seule en retire quelques bénéfices. Les parties les plus basses du territoire sont occupées par les céréales et les plantes sarclées, que l’on retrouve aussi sur les plateaux où l’on remarque, de plus, beaucoup de prairies artificielles et surtout la lentille, culture locale importante. Les prairies naturelles sont dans les vallées et sur les parties fraîches des terrains volcaniques.

Au point de vue de son affectation agricole, la superficie totale se répartit de la manière suivante :

La moitié en terres labourables ;

Le neuvième en prairies naturelles ;

Le cinquième en bois ;

Et enfin le dixième en terres de peu de valeur et presque incultes.


améliorations foncières et outillage agricole

Depuis plus de vingt ans, de sérieuses transformations se sont opérées dans le canton. Plus de 300 hectares de terrains rocheux et improductifs ont été défoncés et livrés à la charrue ; la couche arable, quoique peu épaisse encore, est d’une bonne fertilité parce qu’elle est formée de débris basaltiques.

Les labours à la bêche, peu usités autrefois, s’effectuent maintenant très en grand sur les plateaux, principalement dans les terrains que l’on destine à la lentille.

Les charrues à versoir, inconnues il y a à peine trente ans, sont employées aujourd’hui jusque dans la plus petite exploitation ; le cultivateur peu aisé, qui ne peut en faire l’acquisition, emprunte celle de son voisin pour travailler son champ.

Les machines à battre sont d’un usage fréquent ; quelques fermes seulement en sont pourvues ; mais le plus grand nombre des propriétaires emploient des machines qui viennent, moyennant une rétribution, exécuter le travail à domicile.

C’est un agriculteur du canton qui a introduit la première moissonneuse dans le département.

Grâce aux instruments aratoires puissants, on a pu donner plus d’épaisseur à la couche cultivable, développer la culture des plantes sarclées, faire une plus large part aux prairies artificielles et, par conséquent, supprimer la jachère en augmentant le nombre des animaux domestiques.


fertilisation du sol

Les fumures, sans être très abondantes, seraient suffisantes pour maintenir le sol en bon état de fertilité, mais il faudrait s’arrêter à un choix plus judicieux dans la succession des récoltes.

L’emploi du plâtre sur les légumineuses se généralise de jour en jour ; cet engrais minéral est maintenant admis partout, et nous pensons qu’il en sera de même pour les engrais commerciaux ou chimiques, dont l’essai a été fait avec fruit dans le canton.


plantes cultivées
Froment.

Au premier rang, nous citerons le froment dont la culture s’étend sur une superficie de 872 hectares, principalement dans les communes de Saint-Paulien, Blanzac et Saint-Vincent ; son rendement, en 1882, a été de 14 083 hectolitres, tandis que la moyenne ne dépasse pas 10 900 hectolitres, d’où une différence en plus de 3 183 hectolitres produisant, à raison de 19 fr. 40 l’un, un excédant de 61 750 fr. 20.


Seigle.

Le seigle couvre une étendue de 724 hectares, surtout dans les régions élevées et les sols granitiques ou volcaniques ; son produit, en 1882, a été de 12 453 hectolitres, soit 2 896 hectolitres de plus que dans une année ordinaire, représentant un excédent de 42 286 fr. 60 c., à raison de 144 fr. 60 c. l’hectolitre.


Orge.

L’orge de nos plateaux est très recherchée pour la fabrication de la bière ; son grain contient une forte proportion de diastase. Sa culture occupe 700 hectares ; elle donne de bons produits, surtout dans les sols profonds et bien ameublis. La dernière récolte a rendu 20 440 hectolitres, c’est-à-dire 2 450 hectolitres de plus que la moyenne ; le prix ordinaire de l’hectolitre étant de 11 fr. 55 c., la valeur de cette différence serait de 28 297 fr. 50 c.


Méteil.

Dans le pays, on fait un très grand cas du méteil ou mélange de seigle et de froment, en parties à peu près égales, qu’on appelle aussi fromentade. C’est surtout sur les terrains de moyenne valeur que se pratique cette culture ; car c’est là que les céréales sont le plus souvent éprouvées par nos hivers rigoureux. Ce mélange a été adopté comme offrant plus de garanties de succès. Le méteil sert à la nourriture des gens du pays. Sur une étendue de 1 049 hectares, on a obtenu, l’année dernière, 19 197 hectolitres, dépassant ainsi la moyenne de 4 091 hectolitres. Si l’on estime l’hectolitre au prix de 16 fr. 90 c., cet excédent représenterait 69 137 fr. 90 c.


Avoine.

L’avoine n’est ensemencée, dans le canton de Saint-Paulien que sur 264 hectares et dans les terrains les plus mauvais ; c’est ce qui explique son rendement relativement faible.

La dernière récolte a produit 7 840 hectolitres ou 1 082 hectolitres de plus que la moyenne, soit 8 331 fr. 40 c., à raison de 7 fr. 70 c. l’hectolitre.

De ce relevé, il résulte, pour la dernière récolte des céréales, un excédent représentant une valeur en argent de 218 823 fr. 40 c.

Toutefois, nous devons faire observer qu’au moment où sont établis ces calculs, les prix de vente des grains sont au-dessous de ceux que nous avons pris pour base, ce qui réduit les bénéfices du producteur au grand avantage de la consommation.

Si l’on cherche maintenant à se rendre compte de la quantité de grain nécessaire à l’alimentation des habitants du canton, ou voit que la production locale dépasse de beaucoup les besoins.

Ainsi, en établissant la consommation par nature de grain et par tête, d’après les proportions suivantes :

Froment 
»h 80 4h 10
Méteil 
1 90
Seigle 
» 80
Orge 
» 60

on trouve que chaque individu consomme 4 hectolitres 10, soit, pour 7 240 habitants, 29 684 hectolitres, chiffre inférieur de plus de moitié au rendement total de l’année 1882.


légumineuses à graines
Fèves, pois, vesces, etc.

Après les céréales, les légumineuses à graines occupent une place importante parmi les cultures du canton.

Les fèves, pois et vesces ne couvrent cependant que des espaces relativement faibles, et c’est seulement la lentille à laquelle il convient d’accorder une attention toute particulière.


Lentille.

La lentille est cultivée dans le pays depuis les temps les plus reculés, ainsi que le prouvent des graines carbonisées retrouvées dans une amphore romaine enfouie dans le voisinage de Saint-Paulien.

Cette variété est connue dans le commerce sous le nom de lentille verte du Puy. Elle est petite, d’un goût exquis et très recherchée des populations méridionales.

Sa tige donne un fourrage assez bon, utilisé l’hiver pour l’alimentation du bétail.

Les travaux minutieux qu’elle exige font de la culture de la lentille une des plus intéressantes de la contrée. 648 hectares lui sont consacrés tous les ans, et, bien que le rendement diminue sensiblement depuis quelques années, on n’en persiste pas moins à imposer la même surface. Les prix de vente ont aussi subi de grandes variations que nous attribuons au développement des cultures maraîchères et à l’extension de l’industrie des conserves alimentaires.

En 1882, on a récolté 9 007 hectolitres de grain, environ 500 hectolitres de moins que dans une année moyenne. Ce produit, évalué à 30 fr. l’hectolitre, donne un chiffre de 270 210 fr.

En présence de tels résultats, il n’est pas surprenant que la culture de la lentille soit préférée à celle de la betterave et de la carotte, assurément très avantageuses pour la production de la viande, mais dont on ne peut compter faire immédiatement de l’argent.


plantes racines

Les plantes à racines alimentaires n’occupent pas assez de place dans la production locale ; la pomme de terre et la rave sont seules cultivées sur une grande étendue ; la betterave, la carotte, le topinambour, etc., à peine connus, ne font l’objet d’une culture sérieuse que dans deux ou trois exploitations. Il est vrai que leurs rendements ne sont pas très considérables sur nos plateaux, soit parce que les fumures ne sont pas appliquées judicieusement, soit parce que les intempéries nuisent à leur végétation. Ainsi la pomme de terre donne à peine 125 hectolitres à l’hectare, la betterave 18 000 kilog. et la carotte ne dépasse guère 25 000 kilog. Mais nous ne craignons pas d’avouer que, quoique faibles, ces résultats sont encore précieux et que l’on pourrait, sans nuire à la production des céréales, leur accorder quelques hectares de plus.


prairies artificelles
Trèfle.

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, les prairies artificielles ont pris une certaine importance, et, si le trèfle n’occupe pas encore la place qui lui revient, nous voyons avec plaisir qu’il prend de l’extension de jour en jour.


Luzerne.

À l’altitude moyenne du canton, la luzerne se trouve sur la limite où sa culture cesse d’être lucrative ; les gelées printanières, très fréquentes, nuisent à la première coupe ; aussi ne couvre-t-elle que de faibles superficies.


Vesce, jarousse et sainfoin.

Dans les terrains argilo-calcaires, on cultive encore la vesce ; sur les sols volcaniques et légers se voient aussi quelques champs de jarousses et enfin les sols marneux supportent souvent des récoltes de sainfoin.

Le rendement en foin sec de ces divers fourrages varie de 2 à 5 000 kilogrammes à l’hectare. Ils sont d’un précieux concours au printemps pour la nourriture verte du bétail.

Il y a, dans le canton, 992 hectares de prairies artificielles donnant annuellement 45 000 quintaux métriques de foin sec.


prairies naturelles

Les prairies naturelles assurent la nourriture d’hiver. Sur certains points, elles donnent, par an, deux bonnes coupes équivalant de 8 à kilogrammes de foin sec, d’excellente qualité, grâce au terrain basaltique qui le produit. La récolte annuelle est d’environ 55 000 quintaux métriques.


plantes industrielles
Colza.

Le colza est cultivé comme plante oléagineuse ; l’huile obtenue est consacrée aux besoins des ménages de la campagne. 15 hectares seulement lui sont réservés ; le produit est d’environ 246 hectolitres de graine et de 120 hectolitres d’huile.

Vigne.

La vigne couvre 79 hectares environ donnant un peu plus de 1 000 hectolitres de vin. Il n’y a que dans la commune de Saint-Vincent où sa culture soit sérieusement suivie ; le climat y est plus doux, et partant, les récoltes plus assurées. Nous remarquons que la superficie occupée par la vigne a subi une réduction de 4 hectares.

Bois.

Les bois sont, en général, situés sur les sommets des montagnes ou sur les versants rapides. Les essences qu’on y remarque sont le chêne et le pin sylvestre. Le premier est exploité en taillis tous les cinq ou six ans. Son écorce sert à la tannerie.

Le pin sylvestre domine, il est aussi coupé tous les cinq ou six ans. Ce mode d’exploitation propre au pays fournit des fagots, connus sous le nom de garne, vendus à la boulangerie.

Les frais considérables qu’exigent la coupe des bois et leur transport sur les marchés en font une industrie peu lucrative.


animaux domestiques

Il est évident que la terre ne saurait tirer d’elle-même les éléments d’une production constante, et que, pour entretenir sa fécondité et conserver sa richesse, il est d’absolue nécessité de lui restituer sous forme d’engrais ce qu’elle nous donne en récoltes de toute nature.

Le principal agent producteur d’engrais est le bétail, dont le nombre doit naturellement être proportionné aux superficies à entretenir en bon état de culture.

Le recensement qui vient d’être fait nous montre que cette loi d’équilibre est à peu près observée dans le canton de Saint-Paulien.

En effet, on y trouve aujourd’hui 10 235 animaux domestiques, qui se répartissent comme il suit :

Espèce chevaline 
316
Mulets 
1
Espèce asine 
10
Espèce bovine 
3 703
Espèce ovine 
4 069
Espèce porcine 
2 058
Espèce caprine 
78
Total 
10 235

C’est-à-dire près du double de ce qu’était la population des étables il y a trente ans.

Les pertes annuelles sont de 252 têtes, soit 2,46 pour cent.

On compte, en outre, 18 574 animaux de basse-cour.

Le poids total, non compris ces derniers, s’élève à 2 millions 291 617 kilogrammes ; soit 368 kilog. par hectare de terres labourables.

Comme nous l’avons dit, cette proportion est, il est vrai, insuffisante pour obtenir l’engrais nécessaire à des récoltes maxima, mais cependant assez forte pour maintenir, à l’aide des plantes améliorantes, la terre sur un bon pied de production.

Ajoutons que, faute de soins entendus, les fumiers de ferme éprouvent des pertes considérables et que les cultivateurs ne retirent pas de leurs animaux tout l’engrais qu’ils pourraient en obtenir, à cause de leurs tendances à vendre la paille.

La conséquence d’une telle erreur sera un retour forcé à la jachère, à moins que l’on ne recourre aux engrais chimiques.


consommation de viande

Il se consomme peu de viande de boucherie ; quelques familles aisées seulement et une partie des habitants du chef-lieu de canton s’approvisionnent de viandes fraîches. Les villageois se nourrissent de pommes de terre, de fromage, de beurre et de salaisons.

Le poids net de la viande abattue ne s’élève qu’à 208 155 kil. ; soit 28 kilog. par an et par individu (dans ce chiffre, la viande de porc entre pour les cinq sixièmes).


Lait.

L’on recueille annuellement 20 762 hectolitres de lait de vache et environ 150 hectolitres de lait de chèvre. Une partie est consommée aussitôt comme boisson ou à l’état de fromage frais, désigné dans le pays sous le nom de tôme.

13 500 hectolitres servent à la fabrication du fromage bleu du pays et du beurre, dont le poids atteint 42 000 kilog. par an. Le beurre, est en grande partie, exporté sur les grands centres par des commerçants ou commissionnaires, appelés leveurs, Paris, Marseille et Montpellier sont les principaux débouchés,

morcellement du sol

Si le morcellement de la propriété qui s’accentue de plus en plus est un obstacle aux grandes améliorations, telles que : irrigations par canaux collectifs, assainissements, il n’est pas sans présenter quelques avantages ; les divers travaux portant sur de plus petites étendues s’exécutent avec plus de soin : l’ameublissement du sol au moyen des instruments à main et de la bêche en particulier est plus parfait, et l’on voit se défricher de nombreux terrains qui seraient restés incultes longtemps encore.


Salaire des ouvriers agricoles.

Le salaire des ouvriers agricoles, quoique relativement faible, dans le canton, tend à s’élever, et ne sera bientôt plus proportionné au prix de vente des produits.


conclusion

Au point de vue du progrès agricole, la statistique de 1882 nous permet de constater que, s’il a été fait beaucoup dans le canton de Saint-Paulien, il reste encore beaucoup à faire.

Le système de culture manque d’équilibre, on prend beaucoup à la terre, on lui rend peu.

On exporte constamment céréales et lentilles, sans importer de l’engrais ; c’est là un grave défaut, devant à la longue amener de sérieuses conséquences.

L’économie du bétail veut aussi plus d’attention et de soin, le choix des races n’est pas fait avec assez de discernement et, de ce côté surtout, les étables du canton laissent beaucoup à désirer.

Enfin, l’outillage agricole qui, grâce à quelques ouvriers intelligents, s’est déjà beaucoup perfectionné, n’est pas sans demander de nouvelles modifications.

Le Secrétaire Archiviste,

NICOLAS,

Directeur de la Ferme-École de Nolhac.