Stances (Jean Polonius, II)

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Poésies (p. 33-35).

Stances



 
Si tout à coup, sur ce triste rivage,
Dans cette foule, où j’erre inaperçu,
Le sort venait de ton charmant visage
Me présenter l’aspect inattendu ;

Qu’avec transport je sentirais mon âme,
Comme la plante, au soleil du matin,
Se ranimer au doux rayon de flamme,
Qui de tes yeux descendrait dans mon sein !


Que j’aimerais, dans ta voix familière,
Dans tes regards, de moi seul entendus,
A retrouver l’image, toujours chère,
D’êtres, de lieux, de temps qui ne sont plus !

Comme l’on voit deux filets d’une eau pure,
Longtemps forcés de séparer leurs cours,
Dans un désert, sous l’œil de la nature,
Se retrouver et s’unir pour toujours ;

Tels, entourés d’une foule importune,
Dans ce désert, tous les deux ignorés,
Nos cœurs, unis d’une étreinte commune,
Se sentiraient l’un vers l’autre attirés.

Ce monde vain, dont la voix mensongère
Trop fréquemment t’entraîna loin de moi ;
Ce mur jaloux., qui m’ôtait la lumière,
Ne serait plus entré mon aîné et toi.


À tes regards il s’ouvrirait peut-être,
Le cœur aimant qu’ont méconnu tes yeux ;
Peut-être, enfin, saurais-tu reconnaître
S’il mérita cet oubli dédaigneux.

Ô volupté ! te voir, te voir sans cesse !
T’environner de mille nœuds d’amour !
À tous les yeux dérober mon ivresse,
T’en pénétrer, t’en embraser un jour !

Rêves trompeurs ! visions insensées !
Fuyez, fuyez comme de vains éclairs !
Vents du rivage, emporte ces pensées,
Dispersez-les dans le vague des airs !